Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Entretien et portraits à l'atelier de restauration de tapis Patricia Boussenec, chef d’atelier, et Sophie Doisy, sous-chef en 2015
Temps de lecture 9 min

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Entretien avec Patricia Boussenec, chef d’atelier, Sophie Doisy, sous-chef et Laurianne Chassé, sous-chef, chargée de la formation, à l'occasion de l'exposition L'Esprit et la Main organisée en 2015 à la Galerie des Gobelins, qui présentait des démonstrations du savoir-faire des ateliers.

Cet entretien, réalisé en 2015 au sein de l’atelier, retranscrit les propos des restaurateurs le plus fidèlement possible.

Il s’agit pour le lecteur de les écouter parler pour s’imprégner de l’esprit de l’atelier.

Quelle est la mission de l’atelier de restauration de tapis ?

Nous sommes chargés de la restauration et de la conservation des tapis qui servent principalement à l’ameublement des résidences de l’État, en priorité celle du président de la République. Certaines pièces sont prêtées dans des musées et des châteaux.

Nous intervenons en restauration sur des tapis de Savonnerie de toute époque. Les tapis les plus anciens sur lesquels nous intervenons sont des tapis d’époque Louis XIV et notre travail se prolonge sur des tapis contemporains. Ce que nous utilisons le plus souvent comme techniques, ce sont le chaînage et le tramage, le but étant de reconstituer la structure du tapis lorsqu’il a subi différentes altérations… Nous restaurons des déchirures, auquel cas nous sommes parfois amenés à reconstituer des nœuds, rechercher des couleurs ou encore reproduire des dessins : les travaux que nous réalisons sont très divers.

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Tapis GOB 1498, photo Isabelle Bideau
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Restauration du tapis GOB 1498, photo Isabelle Bideau
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Restauration du tapis GOB 1498, droits réservés

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

Laurianne Chassé : déjà toute petite, je dessinais, je faisais du crochet… C’est ce qui m’a conduite à choisir un métier manuel. J’ai découvert par hasard que la Manufacture des Gobelins recrutait. Je ne savais même pas quelle spécialité m’intéressait, mais je me suis présentée au concours. La veille de l’examen, j’ai visité les ateliers de restauration et de création, j’avais une sensibilité pour la restauration. J’avais envie de toucher des pièces anciennes.

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Restauration en plein air d'un des plus grand tapis, photo Isabelle Bideau

Quelle formation faut-il suivre aujourd’hui ?

Le Mobilier national offre une formation qui ne nécessite pas de prérequis, mis à part le désir d’apprendre un métier manuel.
On peut y entrer à partir de 16 ans, ce qui laisse une ouverture à tout type de profils, avec tout type de cursus. Une personne qui sort du collège trouvera par exemple sa place, si elle y met du sien et arrive au bout de sa formation. Pour faire ce métier, l’une des qualités primordiales est la patience car notre travail s’effectue parfois sur plusieurs années. Il faut accepter d’attendre tout ce temps pour voir s’achever un projet de restauration.
Il faut aussi avoir le goût des choses bien faites, parce que nous avons la possibilité ici de faire du mieux que nous pouvons, ce qui est rare dans le domaine du travail aujourd’hui.

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L'atelier de restauration de tapis, photo droits réservés

Selon vous, quels gestes ou quelles attitudes rythment et définissent votre savoir-faire ?

Le passage d’aiguilles, c’est la main. Le titre de l’exposition, L’Esprit et la main, nous convient tout à fait, car, pour faire le bon geste, il ne faut pas avoir la tête ailleurs, il faut une certaine concentration. Le plus important, c’est la sensibilité au niveau des doigts qui permet de pallier la vue.

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Le nœud Ghiordes pratiqué dans l'atelier, photographie Wikimedia commons réalisée au Mobilier national

Pouvez-vous nous parler d’un cas d’école, présent ou non dans l’exposition L’Esprit et la main ? Quelle a été votre démarche ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Un tapis (GMT 2061) daté du Second Empire, de style oriental, d’un auteur inconnu et qui se trouvait à l’ambassade de France à Stockholm. Nous avons travaillé en équipe pour ce tapis, c’était complexe et nous nous sommes vraiment soutenus. En fait, il s’agissait de la restauration d’une bordure, un devant de cheminée à retisser, et il fallait que le technicien soit très près de la pièce pour travailler. Le travail consiste à réaliser chaînage et tramage dans un sens différent. C’était particulièrement intéressant pour l’ensemble de l’atelier : les jeunes n’avaient jamais retissé intégralement un devant de cheminée. Sur l’endroit, c’est une richesse technique de voir le tapis qui se construit avec toutes les bonnes valeurs de couleur, leur éclat…

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Autre exemple de manque dû à un emplacement de cheminée découpé, GMT 30482, photo Isabelle Bideau

Avez-vous assisté à une évolution qui a marqué votre profession en termes de techniques ou de technologies ? Avez-vous connu l’émergence de nouveaux outils ?

On réalise rarement des traitements conservatoires des pièces, qui sont une nouvelle approche de la restauration pour un atelier comme le nôtre, en tout cas plus rarement que l’atelier de restauration de tapisseries, dans le sens où nos tapis servent, sont réutilisés.

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Restaurateur, photo Vincent Leroux

D’après vous, qu’est-ce qui fait la spécificité du fait de travailler au Mobilier national ? Comment s’exprime cette particularité en termes de savoir-faire ?

Dans le privé, les ateliers restaurent très peu de tapis de Savonnerie. Ils travaillent beaucoup plus sur les tapis d’Orient.

Le fait de travailler au Mobilier national permet d’atteindre l’excellence.

Par rapport aux autres ateliers de restauration du Mobilier national, nous donnons vraiment très rarement des tapis à restaurer à l’extérieur, sauf pour ce qui concerne le nettoyage.

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Restauration atypique sur un des plus grands tapis par beau temps dehors, photo Isabelle Bideau

En quelques mots, s’il vous fallait restituer l’esprit de votre atelier, que diriez-vous ?

Bonheur, jeunesse, dynamique et technique.

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L'atelier de restauration de tapis, photo Isabelle Bideau

Comment envisagez-vous l’exercice de votre profession dans vingt ans ? dans cent ans ?

Les choses vont évoluer, notamment avec le fait d’être moins interventionniste dans le cadre de la restauration, ce qui nous amène à penser différemment notre geste.
Cependant, si on perdait notre mission d’ameublement et la restauration qui lui correspond, l’atelier n’aurait plus la même raison d’être. Il perdrait tout un pan de techniques. Cela imposerait des travaux de plus longue haleine. De plus, toute une démarche intellectuelle au niveau de la restauration disparaîtrait. L’ameublement est donc très important pour nous.
Pour conclure, nous aimerions que les savoir-faire se transmettent de génération en génération. Les jeunes apportent une nouvelle vision, un nouveau regard sur les techniques, non pas sur la technique pure, mais sur les démarches par exemple. Les jeunes sont plus sensibles à la conservation. Aujourd’hui, à la différence d’avant, on se dit que tel ou tel tapis devrait rentrer, car il se dégrade rapidement, et que la pièce est en train de perdre son essence. Nous avons les mêmes techniques, elles ne changent pas, c’est le degré d’intervention qui change en fonction de l’état de la pièce et de sa destination.
En tant que restaurateurs, quand le projet commence, nous devons engager une vraie réflexion sur le temps de travail nécessaire et les modalités d’intervention. Il y a vingt ans, quand on parlait de conservation, on se retrouvait complètement démuni, car on ne faisait pas la différence entre conservation préventive et conservation curative.

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L'atelier de restauration de tapis, photo Isabelle Bideau

Comment avez-vous pensé et vécu l’exposition L’Esprit et la main ?

Nous étions satisfaits de pouvoir montrer nos métiers, notre savoir-faire. Depuis très longtemps, nous avions envie de faire ce projet. La réaction a été unanime dans l’atelier et ensemble nous avons choisi chacune des œuvres. Pour certaines d’entre elles, il y a eu une différence entre ce que nous avions pensé avant la mise en place de l’exposition et le résultat. Par exemple, nous étions partis sur un tapis Louis XIV, mais cela s’est révélé impossible, car le tapis mesure 10 mètres de long !… Ensuite, nous avions voulu mettre un tapis de Saint-Ange[1], mais il était trop grand… En fin de compte, nous sommes très heureux d’avoir pu choisir des œuvres anciennes et contemporaines, car nous n’avons pas du tout été entravés dans nos choix.


[1] Jacques-Louis de La Hamayde de Saint-Ange, peintre ayant fourni des dessins à la Manufacture de la Savonnerie.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main, 2015, photo Yvan Moreau

Concernant l’espace de votre atelier, est-ce ainsi que vous l’imaginiez ?

Nous ne pouvions pas faire plus petit, puisque ce sont des tapis de grandes dimensions. Le choix s’est effectué en fonction de ces derniers. Au niveau de l’agencement, nous nous sommes concertés avec les restauratrices en tapisserie pour que ce soit à peu près équivalent, car au départ il était question que nous soyons en longueur chacun de son côté, ce qui était dommage. C’est comme cela qu’est venue l’idée de la table tactile centrale et partagée.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main, 2015, photo Yvan Moreau

Quel est le message le plus important que vous souhaitez transmettre ? Qu’est-ce que cette exposition vous permet de dire sur votre métier ?

En premier lieu, nous souhaitons transmettre notre savoir-faire.

Ensuite, nous travaillons pour l’ameublement qui est notre mission première. C’est important que les visiteurs se rendent compte de ce que nous faisons. Nous voulions que les visiteurs puissent voir les tapis au sol, mais aussi des Savonnerie qui se trouvent sur des sièges, des paravents, des écrans…

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Geste technique du restaurateur, photo Isabelle Bideau

Selon vous, quel est l’impact de cette exposition, à long terme, sur la façon dont les publics perçoivent votre profession ? Que vous apporte cette rencontre avec les publics ? Que vous apporte le fait de transmettre votre savoir-faire ?

D’abord, idéalement, nous souhaiterions qu’un public nombreux découvre nos métiers, voire que certains se découvrent une envie de les exercer.

Il y a eu de très bons retours car les visiteurs sont contents de pouvoir parler aux techniciens : des projets, des techniques… Ils sont satisfaits d’avoir des explications, de voir les techniciens travailler, d’avoir affaire à un restaurateur plutôt qu’à un conférencier.

Nous avons rencontré différents types de publics, du novice à l’expert. Nous apprécions de pouvoir parler avec les gens, c’est important. D’ailleurs, c’est pour cela qu’ils ne regardent même pas les cartels, et viennent directement nous voir ! L’espace est aéré, nos métiers sont vivants et l’exposition le fait bien ressortir. Dans notre rapport avec le public, il nous arrive d’avoir des questions comme : « Pourquoi vous ne jetez pas ce tapis ? Il est très abîmé et ce n’est pas un tapis ancien, pourquoi vous ne le refabriquez pas ? » Il est important de sensibiliser les publics à ces questions de patrimoine et c’est aussi l’enjeu de l’exposition.

Toute restauration peut coûter cher, que ce soit la restauration d’un tableau, la restauration de mille choses peut coûter très cher, mais on ne jette pas, sinon il n’y a plus de patrimoine !

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Geste technique, photo Vincent Leroux

Est-ce que vous avez senti une évolution de la compréhension des matériaux ?

Nos matériaux n’ont pas changé. On prend toujours du lin, du coton, de la laine… Cela a peut-être évolué en termes de couleurs, mais pas seulement : peut-être qu’on fait les choses de façon moins systématique aujourd’hui. Avant, on aurait repris un tapis du début jusqu’à la fin, alors qu’aujourd’hui on adapte la restauration en fonction du problème posé.

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L'armoire des laines, photo droits réservés

Comment avez-vous réussi à recréer votre atelier dans l’espace muséal qui vous était alloué ? Comment vous l’êtes-vous approprié ? Quels choix scénographiques avez-vous réalisés ?

Nous avons proposé que les tables soient disposées en U, ce qui correspondait aux supports des trois tapis exposés. Nous ne savions pas en revanche qu’on allait être complètement protégés par des vitres. Les gens n’auraient pas pu voir les tapis les uns derrière les autres, donc le U était ce qu’il y avait de mieux pour nous. Et le scénographe était d’accord !

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L'atelier de restauration de tapis, photo droits réservés
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Échantillons de couleur, photo Vincent Leroux
Bibliographie

Ch. Naffah-Bayle dir., L'Esprit et la main, Gourcuff Granedigo, 2015.