Reprise pudique de nus sur une tapisserie de Mignard
"Le triomphe de Bacchus" à l'atelier de rentraiture tapisserie
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L'atelier de rentraiture tapisserie accueille en 2020 une version du Triomphe de Bacchus de Mignard (GMTT-69-003) qui a subi une ancienne opération de rhabillage des nus. Sa restauration est l'occasion de lever le voile sur cette opération...
Les "braghettone" de l'art
On connaît d'autres histoires similaires d’œuvres dont les nus furent à une époque postérieure pudiquement voilés : à commencer par la fresque du jugement dernier de la Chapelle Sixtine. Le pape Paul IV, puis, en 1564, la congrégation du concile de Trente souhaitèrent rendre plus pudique la fresque de Michel Ange. Aussi Charles Borromée confia au peintre Daniele da Volterra une action de censure en 1565 : peindre des braghe (braies ou culottes, d’où son surnom de braghettone, « culottier »). Ce dernier, admiratif du maître, habilla 20 figures de voiles légers, utilisant des couleurs à la détrempe pour conserver la peinture originale.
Les procédés
Afin que les rhabillages seillent au mieux aux personnages, il n'était pas question d'ajouter une épaisseur à la tapisserie. L'opération fut donc de préparer des vêtements, puis d'enlever la peau là où les vêtements venaient les remplacer.
Par sécurité, plusieurs centimètres furent conservés pour les coutures. C'est à ces endroits, sur l'envers, qu'aujourd'hui nous gardons le mieux la vision et trace de ces reprises.
Notre tapisserie au crible : le jeu des différences
Il reste aujourd'hui deux tapisseries du même sujet dans les collections du Mobilier national :
- La GMTT-74-002 (ici en noir et blanc) a gardé ses nus d'origine. Elle a été tissée de 1715 à 1717 dans l'atelier de D. la Croix
- La GMTT-69-003 (ici en couleur et à l'atelier de restauration) est antérieure mais a subi quelques restaurations de pudeur. Son carton fut réalisé par Remondon d'après une peinture du château de Saint-Cloud en 1677. Son tissage intervint aux Gobelins de janvier 1692 à 1699 dans l'atelier de Jans.
Au moins 5 à 6 personnages ont été rhabillés de voiles sur cette dernière : à commencer par trois enfants ou amours ; puis c'est au tour des hommes de gagner principalement des épaisseurs : Bacchus, personnage central, mais aussi les deux sonneurs et un vieux personnage bacchique barbu transporté au loin ; enfin quelques gorges féminines n'auront désormais plus à craindre les brises, notamment la danseuse.
Les nus ayant été découpés, il n'était plus question de pouvoir remettre la tapisserie à l'état d'origine.
La restauration s'est faite sur l'ensemble des points d'usures de cette tapisserie, tout en gardant l'histoire de ce rhabillage et en consolidant les structures qui avaient pu être affaiblies par ces modifications de l'histoire.
Découvrir la notice détaillée de ces objets
Maurice Fenaille, État de la production des Gobelins..., t. II p.403.
Jean Vittet et alii, La Collection de tapisseries de Louis XIV, Dijon, 2010, p. 245-246, fig. 206.
Jean-Jacques Gautier et Bertrand Rondot, Le château de Versailles raconte le Mobilier national, Quatre siècles de création, Paris, 2011, pp. 127-131.