Une table à la Tronchin restaurée en 2015
Du constat d'état au rapport d'intervention
7 min
La restauration de la table GME-18506, réalisée par l’atelier d’ébénisterie du Mobilier national pendant 31 jours, a été présentée à l'Exposition de la Galerie des Gobelins L'Esprit et la main en 2015. Un rapport pédagogique a été proposé dans le catalogue de l'exposition à titre d'exemple. Le voici.
Une table "inventée" par un médecin
La table à la Tronchin est une table du XVIIIe siècle, apparue sous le règne de Louis XVI.
Elle tire son nom d’un médecin genevois, Théodore Tronchin (1709-1781), qui publie à l’époque des travaux sur les maladies osseuses liées à la mauvaise position qu’on adopte à sa table de travail et sur les avantages qu’il y aurait à créer une table à pupitre inclinable qui permettrait de garder le dos bien droit et d’éviter ainsi toute déformation ou douleur, qu’on travaille assis ou debout.
L’innovation de cette table vient d’un mécanisme dissimulé dans l’épaisseur de la ceinture, qui permet d’élever le plateau à la hauteur désirée. Ainsi, le plateau de cette table, qui pouvait être plein ou muni d’un pupitre gainé de cuir, est inclinable à l’angle voulu, grâce à un pupitre à crans, et rehaussable grâce à un jeu de deux ou de quatre crémaillères dissimulées à l’intérieur des pieds. Elle fut inventée et fabriquée par l’ébéniste Dufour en 1777.
Description de l'objet avant intervention
Nous avons ici une table à la Tronchin à quatre pieds en gaines chanfreinées, sabots à roulettes en cuivre, tiroir dans la ceinture avec deux poignées et les champs des placages enrichis de moulures en bois gainées de laiton, deux tirettes latérales avec boutons de tirage, partie supérieure se levant et formant un pupitre.
La voici telle qu'elle se présente à l'atelier avant restauration.
Époque Premier Empire (1804-1815)
Acajou, citronnier, amarante et chêne, cuivre doré, laiton
H. 0,81 m, L. 1,00 m, l,60 m
Constat d’état et intervention
En l'étudiant de près, on observe que cette table nécessite une restauration de fond.
Les assemblages de la table sont décollés.
Des soulèvements de placage sont visibles à plusieurs endroits. En haut des pieds, trois frisages manquent. Ils sont faits de citronnier entouré d’un filet d’amarante.
Les pieds sont déformés, surtout le pied avant droit.
Le plateau du dessus est déformé également par des soulèvements et des manques de placage. Les moulures sont abîmées.
Le plateau est enfin recouvert d’un simili cuir noir.
Le plateau du dessous est constitué d’un panneau central plaqué en acajou. L’âme du panneau est constituée de huit petits panneaux en bois résineux qui sont déformés, aussi le placage ne tient presque plus. Ce dernier, par ailleurs, est taché.
La frise en acajou massif est partiellement désolidarisée du panneau. Une vingtaine de clous transperce la frise et le panneau afin de maintenir le plateau sur la table.
Les coulissages qui permettent d’incliner le plateau du dessus sont fendus.
Le tiroir a du « gauche » (c’est-à-dire qu'il ne fonctionne pas bien). Il comporte des manques de moulure et des soulèvements de placage.
Le fond de tiroir a subi quelques modifications qui sont probablement liées au retrait naturel du bois.
Sur les tirettes, les panneaux sont fendus et l’acajou en façade est arraché.
Sur l’une d’elles, le panneau bouge, son assemblage est très probablement cassé.
Il est dès lors décidé de démonter la table et d’intervenir sur les pièces pour redonner une bonne lisibilité de ce meuble et de sa fonction.
La table est démontée et on s’aperçoit que le pied avant droit est fendu sur une hauteur de 25 centimètres. Le pied arrière droit est également fendu.
Les deux pieds fendus sont recollés puis renforcés. L’arasement du pied est restauré afin d’obtenir la surface de collage optimale.
Les frisages en amarante et citronnier de ce pied sont restaurés et ceux des trois autres pieds sont restitués.
Toutes les arêtes sont reprises à la gomme laque afin de redonner une rigueur aux lignes.
Le placage en acajou a subi une décoloration liée à une exposition régulière au soleil.
L’assemblage de la traverse arrière est cassé et le placage est décollé. Les manques sont comblés et renforcés. Le placage est recollé à la colle de poisson (voir la définition dans la liste des produits utilisés).
Le plateau du dessous est collé à plat joint sur les traverses et les pieds de la table.
Le plateau est constitué d’un panneau central et d’une ceinture en acajou massif. Le plateau est partiellement décollé et des clous ont été placés tous les 8 centimètres environ.
Cela a abîmé le placage mais aussi la ceinture du plateau. D’autre part, avec le retrait naturel du bois, il manque 16 millimètres pour que le plateau soit maintenu dans ses rainures. Le placage est déposé.
L’âme du plateau est constituée de huit panneaux en résineux de 6 millimètres d’épaisseur, qui se sont déformés.
Les panneaux sont réhydratés et mis sous presse.
Les assemblages en rainures et languettes sont restaurés et les 16 millimètres manquants sont ajoutés. L’ensemble est recollé. Afin de consolider ce panneau, il est décidé de contrebalancer avec un placage de 1 millimètre réalisé dans une ancienne planche de résineux. En parallèle, le placage est restauré. Les parties lacunaires sont comblées et les taches d’encre sont allégées.
L’ensemble est plaqué sous châssis à la colle de poisson. La ceinture en bois massif reçoit ses greffes et, pour consolider cette construction fragile, les assemblages sont réalisés pour maintenir les coupes d’onglets entre elles.
Le plateau du dessus est déformé, on observe des fentes importantes qui donnent des désaffleurs. Il y a des manques de placage et la moulure a reçu des coups. Le plateau est dès lors redressé grâce à la méthode Germond 1.
En parallèle, les lacunes sont comblées.
Certains coups sont remontés à la pattemouille, d’autres sont comblés à la gomme laque (voir définition dans la liste des produits utilisés).
Le simili cuir noir est remplacé par un cuir vert tilleul.
Les tirettes ont pris du « gauche ». Les chants des façades sont arrachés. Le panneau en résineux de l’une des tirettes est sorti de son embrèvement.
Les parties lacunaires sont comblées et le panneau est restauré. Les reprises de teinte sont réalisées avec des teintes à l’eau.
Les tirettes sont ajustées en fonction de leur déformation.
Le tiroir présente les mêmes dégradations que les tirettes ainsi qu’un retrait important de son fond. Il manque un panneau qui permettrait d’utiliser le tiroir comme écritoire. Le tiroir est démonté. La façade est restaurée par le comblement des lacunes et des soulèvements de placage et le fond reçoit une greffe de 20 millimètres de chêne ancien. Le tiroir est recollé en vérifiant qu’il est d’équerre. Les coulisseaux sont ajustés.
L’échelle à crémaillère a été restaurée et renforcée.
Ses encoches ont reçu des greffes en arêtes afin de supporter le cadre d’arrêt du plateau inclinable.
La traverse du cadre d’arrêt a été restituée puis mise en teinte avec raccord de patine.
Les crémaillères des pieds sont en section carrée et plaquées de laiton. Ce laiton est fixé par quatre vis et collé.
Avant la restauration, le laiton était décollé et empêchait le coulissage dans les pieds. Or, des clous ont été placés à différents endroits.
Une restauration des bandes de laiton est réalisée en lien avec l’atelier de lustrerie-bronze. Les bandes de laiton sont redressées et les perçages des clous sont bouchés par un apport de brasure.
L’ensemble du meuble reçoit une finition de vernis au tampon.
Liste des produits utilisés
Colle de poisson : il s’agit d’une colle extraite de la vessie natatoire et de cartilages de poisson. Cette colle est utilisée depuis l’Antiquité et jusqu’au milieu du XXe siècle comme colle universelle pour tous les petits travaux. Elle est réversible et possède un fort pouvoir d’adhésion, sèche lentement et s’emploie à froid.
Vernis gomme laque : la recette de vernis la plus simple consiste à diluer environ 175 grammes de gomme laque en paillettes dans un peu moins de 1 litre d’alcool. Il vaut mieux préparer un vernis légèrement épais. Il faut mettre les paillettes dans une bouteille de 1 litre, la remplir d’alcool, boucher et coucher la bouteille : les paillettes se déposent au fond. Ensuite, il s’agit de retourner la bouteille de temps en temps d’un demi-tour jusqu’à dissolution complète des paillettes, puis de la redresser. Au bout de quelques jours, le vernis se sépare en deux zones : une zone opaque en bas et une zone claire en haut. Il est conseillé de mettre en réserve une petite quantité de ce vernis clair et sans impuretés, qu’on appelle le vernis filtré. Il permet de faire des retouches dans les parties difficiles à atteindre. On l’applique avec un petit coton au bout d’une allumette, un coton-tige ou un pinceau, puis on égalise avec le tampon.
Quant à la bouteille de vernis, on change son bouchon contre un autre, entaillé en V pour former un bec verseur.
Pour vernir, il est indispensable d’être dans une pièce exempte de poussière et de courants d’air.
La température de cette pièce doit être d’environ 18 °C. Au-dessus de cette température, l’alcool s’évapore trop vite. En dessous, il ne s’évapore pas assez rapidement.
Si la surface à vernir est de taille réduite, on peut vernir plusieurs pièces à la fois, afin que l’alcool ait le temps de s’évaporer, ou utiliser un tampon beaucoup plus petit.
Gomme laque à reboucher et bâton de cire-résine : ces produits permettent de réparer facilement à chaud (à l’aide d’un fer à restaurer) les petites fissures, les trous de vers ou de clous, sur les meubles vernis.
Préconisations de conservation
Les matériaux organiques tels que le bois sont hygroscopiques – susceptibles d’absorber et de désorber l’humidité – et sensibles aux variations de l’humidité relative. Ils subissent des variations dimensionnelles qui peuvent entraîner des fendillements, des cassures, des soulèvements, des déformations. Une température comprise entre 18 et 23 °C et une humidité relative comprise entre 47 % et 53 % seraient idéales avec des variations de l’humidité relative ne dépassant pas ± 2 % par jour. C’est la variation hygrométrique qui est la plus importante à maîtriser en ce qui concerne la conservation du bois.
Les objets constitués de matériaux organiques représentent un lieu de vie idéal pour les insectes car ils leur fournissent des ressources alimentaires (amidon contenu dans le bois). En outre, la chaleur, l’humidité, l’obscurité et la tranquillité sont des facteurs propices à leur développement. Il est important de protéger les objets de la poussière car elle est abrasive et favorise certaines réactions comme la corrosion, attire les insectes et nourrit les moisissures.
Les matériaux organiques sont sensibles aux ultraviolets (UV) de la lumière naturelle (soleil et lune) et artificielle : dès lors, une protection contre les UV s’impose (films sur les vitres des fenêtres).
Découvrir la notice détaillée de cet objet
Ch. Naffah-Bayle dir., L'Esprit et la main, Gourcuff Granedigo, 2015.