Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Entretien et portrait à l'atelier de menuiserie en sièges Jean-Manuel Guérard, chef d’atelier en 2015
Temps de lecture 8 min

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Entretien avec Jean-Manuel Guérard, chef d’atelier, à l'occasion de l'exposition "L'Esprit et la Main" organisée en 2015 à la Galerie des Gobelins, qui présentait des démonstrations du savoir-faire des ateliers.

Cet entretien, réalisé au sein de l’atelier, retranscrit les propos des restaurateurs le plus fidèlement possible. Il s’agit pour le lecteur de les écouter parler pour s’imprégner de l’esprit de l’atelier.


Quelle est la mission de l’atelier de menuiserie en sièges ?

L’atelier restaure les sièges, les lits, les torchères, les consoles, les écrans, les paravents. Les principales restaurations sont dites « d’utilité de service ». Ce sont des pièces qui vont être déposées dans les ministères, au palais de l’Élysée, dans les ambassades… L’autre intervention que l’on fait concerne les expositions ou le remeublement de châteaux. C’est une intervention de conservation. La menuiserie en sièges est bien caractérisée par le travail des volumes. Il y a énormément de galbe, de sculpture et une ornementation, qui est très variée, par la peinture, par la dorure, par le vernis. Ce que j’aime au Mobilier national, c’est qu’on a en main des pièces de grande valeur, qui ont une histoire et qui ont une richesse au niveau de leur construction et de leur ornementation. Ce qui est intéressant sur ces pièces-là, c’est l’intervention, qui n’est jamais la même et qui nécessite une grande réflexion pour pouvoir remettre ces pièces en état et leur redonner vie.

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Mobilier "Les Rubans" de Groult de passage dans l'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

Quand j’étais petit, mon grand-père m’a pris avec lui pour travailler le bois. C’est une passion qu’il avait et qu’il m’a transmise.

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L'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

Quelle formation faut-il suivre aujourd’hui ?

Pour être menuisier en sièges, il faut passer par des écoles qui débutent en fin de troisième ou alors au niveau du bac. Ce sont des écoles qui décernent des diplômes des métiers d’art et qui forment en menuiserie en sièges. Il y a l’École Boulle, dont je suis issu. D’autres écoles existent, mais elles sont peu nombreuses en France. Une fois la formation de menuisier en sièges effectuée dans ces écoles, pour entrer au Mobilier national, il faut passer un concours. Si vous êtes reçu, l’atelier forme à la restauration des sièges pour intervenir sur des pièces exceptionnelles. Cet apprentissage est long : il dure de cinq à dix ans suivant la personne. Ce qui est plaisant dans la menuiserie en sièges et la restauration des sièges, c’est l’intervention sur les bois, la reconstitution de ces bois et la consolidation qui est différente d’un modèle à l’autre. C’est une réflexion continuelle sur la restauration qui s’engage.

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L'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

Selon vous, quels gestes ou quelles attitudes rythment et définissent votre savoir-faire ?

L’attitude première consiste à prendre en considération toutes les problématiques de la pièce et à adapter ensuite notre intervention à la destination de l’œuvre. L’intervention est différente selon que l’on restaure pour l’ameublement d’une institution ou pour une préservation muséale. Consolider, restaurer, améliorer l’esthétique et protéger sont les termes qui rythment le quotidien de mon atelier.

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L'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

Pouvez-vous nous parler d’un cas d’école, présent ou non dans l’exposition L’Esprit et la main ? Quelle a été votre démarche ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Le fauteuil estampillé par Nicolas Heurtaut (GMT 27550/3) est pour moi une des plus belles pièces sur lesquelles j’aie pu travailler.

J’ai trouvé des informations vraiment intéressantes sur la pièce lors de son démontage. Je me suis aperçu que j’étais sûrement le premier à l’avoir démontée depuis sa conception.

J’ai ainsi été très attentif lors de mes interventions, à la fois au niveau de la technique de la restauration des feuillures, qui est l’une des plus difficiles, mais aussi au niveau de la garniture et de l’intérêt de la restauration de la polychromie, qui n’est pas un procédé très courant au sein de l’atelier.

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Fauteuil estampillé par Nicolas Heurtaut, GMT 27550/3, photo Isabelle Bideau en 2012

Avez-vous assisté à une évolution qui a marqué votre profession en termes de techniques ou de technologies par exemple ?

Oui, aujourd’hui on prépare et on envisage son travail avant même de commencer toute action, on fait de plus en plus attention.

Adapter l’intervention à la pièce et à sa destination, son usage, est devenu primordial. Il s’agit également de répondre à des problèmes de conservation, un de nos objectifs principaux qui sont en constante évolution.

Le remplacement des seuls éléments abîmés des feuillures nous a permis à la fois de préserver certaines parties des anciens bois, de les consolider, et d’offrir la possibilité aux pièces d’être regarnies sans toucher à la polychromie, comme ce fut le cas pour un ensemble de sièges cabriolet Louis XV.

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Réalisation d'une mousse amovible pour le fauteuil de représentation du roi de Rome (fils de Napoléon Ier), GMT 1228, photo Isabelle Bideau

Qu’est-ce qui fait la spécificité du travail au Mobilier national ? Comment s’exprime cette particularité en termes de savoir-faire ?

La spécificité au Mobilier national reste l’intérêt d’un travail sur un mobilier de grande qualité, que ce soit en termes de conception ou d’histoire.

C’est exceptionnel.

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Mobilier "Les Rubans" de Groult de passage dans l'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

En quelques mots, s’il fallait restituer l’esprit de l’atelier dans lequel vous travaillez au Mobilier national, que diriez-vous ?

Sens du devoir, respect des objectifs de service et goût pour l’ameublement des institutions.

Comment envisagez-vous l’avenir de votre profession dans vingt ans ? dans cent ans ?

Je suis persuadé que les techniques d’intervention actuelles vont évoluer et ne seront plus les mêmes d’ici quinze à vingt ans. Le fait d’en avoir conscience m’oblige à rendre réversible le plus souvent possible nos interventions. Quand je suis arrivé, on ne traitait que des pièces destinées à l’ameublement d’institutions, maintenant on fait beaucoup de traitements conservatoires pour des expositions. On traite des pièces de très grande valeur, historiques. Après, pour l’organisation, tout dépend aussi des moyens et du personnel.

Je travaille en accord avec les inspecteurs et la mission ameublement. En conservation, il y a encore beaucoup de choses à développer autour des savoir-faire.

J’aimerais bien pouvoir diffuser à grande échelle nos savoir-faire dans les écoles et que cela touche aussi le plus possible les artisans et leurs pratiques. Nous avons un patrimoine mobilier exceptionnel au Mobilier national et, quand je vois les pratiques d’autres ateliers, je réalise qu’il est primordial de communiquer et de transmettre les techniques de restauration.

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La réserve de bois en 2013, photo Vincent Leroux

Comment avez-vous pensé et vécu l’exposition L’Esprit et la main ?

J’ai tout de suite été enthousiasmé. Pour tout dire, c’est quelque chose que j’attendais depuis longtemps. Il n’y a pas plus parlant que de montrer ce qu’on fait, surtout lorsque le personnel réalise lui-même les démonstrations. [...] Nous sommes devant un public de passionnés, donc pour nous c’est gratifiant. De mon côté, j’ai veillé à ce que l’espace corresponde à ce que l’équipe souhaitait. Je suis moi-même intéressé par la nouveauté, par toutes les problématiques qui peuvent évoluer [...].

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Yvan Moreau

Il y a aussi beaucoup de professionnels qui passent dans l’exposition, ils sont friands de connaître nos pratiques. Nous sommes un service public, nous ne pouvons donc pas intervenir auprès des particuliers, même si c’est vrai qu’il y a une réelle demande. Quand on entre au Mobilier national, on comprend que c’est une institution avec des objets prestigieux, des destinations un peu secrètes, comme tout ce qui concerne la présidence… Nous devons observer un devoir de réserve. Cette ouverture au public est nouvelle pour nous, techniciens [...]. Il est bon de communiquer encore davantage, avec des artisans, des professionnels, pour parler des problématiques, y compris avec des conservateurs et les publics grâce à l’exposition, pour aborder des problématiques de la restauration et des œuvres, la manière dont nous développons notre travail, comment on compte le faire évoluer… L’ouverture occasionne l’échange [...]. Tout cet élan nouveau, dynamique, pour montrer nos savoir-faire, est une bonne chose [...].

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Yvan Moreau

Qu’est-ce que cette exposition vous permet de transmettre ?

Elle nous permet de montrer que notre métier est complet et très différent de l’ébénisterie. Très peu de professionnels le pratiquent. L’atelier utilise des techniques d’intervention qu’on ne trouve pas ailleurs, c’est là l’intérêt de la survie de nos savoir-faire. Si on n’existait plus, pour la conservation et la préservation du patrimoine, ce serait dramatique !


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Les gestes de l'atelier de menuiserie en sièges, photo Isabelle Bideau

Quel est l’enjeu d’une telle exposition ? Que vous apporte cette rencontre avec les publics ?

Il semble qu’il y ait deux types de publics. Pour certains visiteurs, la compréhension de la partie technique est plus difficile. Par exemple, pour ce qui concerne les déformations au niveau des feuillures, certains disent : « Ce sont les insectes xylophages qui ont fait cela ? », alors que ce sont les semences de tapissiers qui ont percé le bois. D’un autre côté et au niveau de la présentation de la restauration, on est mieux compris par les professionnels, les conservateurs… Si ces questions étaient posées dans un cadre spécifique, du type colloque ou conférence, on pourrait peut-être expliquer en détail notre démarche, tout en améliorant la vision du grand public.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Yvan Moreau

Rencontrer les publics, c’est nouveau comme vous l’avez dit, que voudriez-vous qu’ils retiennent en partant ?

Ce que je voudrais surtout, c’est pouvoir répondre à leurs interrogations pour qu’ils sortent de l’exposition avec une vision positive de nos métiers. Les questions varient beaucoup en fonction des personnes.

Il faut dans un premier temps essayer de comprendre les attentes du public et dans un second temps apporter les bonnes réponses. Nous avons aussi beaucoup à apprendre des publics, des visiteurs quels qu’ils soient.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Yvan Moreau

Comment avez-vous réussi à recréer votre atelier dans l’espace muséal qui vous était dédié ? Comment vous l’êtes-vous approprié ? Quels choix scénographiques avez-vous réalisés ?

Le côté vitré de clôture de l’espace reste indispensable pour la sécurité mais « casse » le côté atelier ou plutôt le transforme.

Dans ce dernier, par exemple, on dispose d’une très grande clarté alors que, dans l’exposition, l’éclairage n’est pas totalement adapté. On a essayé de le rendre le plus vivant possible.

Il y a sûrement certaines choses à améliorer. Mais, c’est un bon compromis. L’idéal aurait été de recevoir le public dans nos ateliers, mais ce n’est pas possible pour des questions sécuritaires, d’où cette belle idée de récréer une ambiance similaire dans l’espace qui nous a été alloué.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Yvan Moreau
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Fauteuil de représentation du roi de Rome restauré en 2013, GMT 1228, photo Isabelle Bideau
Bibliographie

Ch. Naffah-Bayle dir., L'Esprit et la main, Gourcuff Granedigo, 2015.