Le pavoisement officiel
L'art de composer avec les drapeaux
8 min
Comment disposer les drapeaux sur les bâtiments officiels ? Pourquoi, comment et quand ?
Samy Mebtoul, qui a réalisé les pavoisements au Mobilier national et à l'Elysée de 1989 à 2021, nous initie à cet art, son histoire, et son vocabulaire.
Un peu d'étymologie et d'histoire
On doit le terme "pavoiser" au vocabulaire de la marine.
Le Dictionnaire de la langue française de l'abbé Féraud en 1788 rapporte qu'au XVIIIe siècle, les vaisseaux pouvaient être recouverts de bandes de tissus de couleur les jours de solennité mais aussi les jours de guerre, les pavois. On parlait alors de pavoiser. Le pavoisement avait deux fonctions : l'ornement, mais aussi ne pas laisser voir les soldats. L'abbé Féraud suppose alors que le terme se rapportait à l'origine au pavois, sorte de bouclier franc, qui permettait à cette époque aux guerriers de se cacher derrière.
Tout au long du XIXe siècle, une foule d'écrits précise les protocoles de pavoisements des navires les jours de fêtes ou lors de cérémonies notamment à l'occasion de l'accueil d'un dirigeant sur le sol d'un pays. Dès 1883, le terme est désormais aussi utilisé pour les édifices publics : par exemple dans la circulaire adressée par le ministre de l'Intérieur aux préfets le 28 mai 1883 pour la fête du 14 juillet Pavoisement des édifices départementaux).
Le Mobilier national est chargé des pavoisements dans les palais présidentiels (l'Élysée, ses annexes, les sommets à Versailles) depuis au moins les années 1950 sinon plus. Ils étaient alors réalisés par les tapissiers (confection des drapeaux comme cloutage).
Pour réaliser des draperies et mettre en valeur le pavoisement, les tapissiers ont alors inventé et défini des manières de présenter les drapeaux. Ils travaillent de concert avec les ébénistes qui réalisent des trophées (encore en usage). Le Mobilier national conserve une véritable panoplie de ces différents trophées utilisés au cours du temps des années 1950 à nos jours. Cette collection est unique en France.
À partir des années 1970, les installateurs (service du magasin et transports) prennent la suite des tapissiers. C'est dans cette équipe que Samy Mebtoul a commencé à s’initier et à réaliser les pavoisements à partir de 1989.
Quels bâtiments et édifices publiques pavoiser et quand ?
C'est le Premier Ministre qui donne les instructions pour le pavoisement et la mise en berne des édifices publics. Ces instructions sont relayées aux maires par les préfets.
Cette directive est également rappelée par le ministère de la Défense aux préfets pour les journées nationales annuelles instituées par des textes législatifs ou réglementaires. Dans ce cadre, le pavoisement des édifices publics est obligatoire.
Le pavoisement est obligatoire dans 3 circonstances :
- À l'occasion des cérémonies commémoratives nationales officielles. Ces cérémonies commémorent la mémoire des faits d'armes des grands Hommes, des combattants et le sacrifice des victimes civiles ou militaires des guerres ;
- lors de la réception de chefs d'États étrangers ;
- lors des deuils officiels, avec mise en berne des drapeaux. Par exemple en en 1993 à l'occasion du décès du président Mitterrand, en 2019 pour le décès du président Jacques Chirac, ou encore décembre 2020 à l’occasion du décès de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing.
Le vocabulaire du trophée
Le corps du trophée est fabriqué en bois peint de noir.
Sept hampes en bois tourné sont fixées en éventail sur un angle de 20 à 30 degrés.
Elles sont surmontées d’une flèche en bois doré.
Les sept hampes sont assemblées et maintenues par une traverse en bois peint en noir.
Les plis des drapeaux sont maintenus par cloutage.
À l’arrière du trophée, un triangle de métal mobile surmonté d’une tige avec écrou permet la fixation et le réglage de la hauteur et profondeur du trophée sur un crochet. L’opération est délicate.
À partir de 2002, une dernière modernisation intervient. L’écrou de réglage est abandonné au profit d’un système en bois de cale qui tombe toujours parfaitement.
Le nombre de hampes adopté au Mobilier national
Le pavoisement doit pouvoir mêler le drapeau français et une série de pays invités.
Après plusieurs essais, les tapissiers ont fixé le nombre de hampes jusqu'à 7 par trophée lors des pavoisements des cérémonies officielles, nombre resté fixe jusqu’à nos jours.
Ceci permet de répondre à tous les besoins diplomatiques.
La panoplie de drapeaux du Mobilier national
Le Mobilier national dispose d'un stock de drapeaux de tous les pays venus en visite officielle depuis Charles De Gaulle.
Il s’approvisionne depuis les années 1980 chez le fabricant d’Ile-de-France Abeille Drapeaux.
L’évolution du drapeau français
Naguère en coton, plus petits et réalisés par le Mobilier national, les drapeaux ont changé de format trois fois depuis 1989 pour arriver au format européen actuel (160 x 215 cm) depuis probablement l’Europe des Quinze (1995).
Ils sont désormais en nylon (ou matière assimilée), matière permettant une meilleure conservation du tissu et de la couleur au soleil comme sous la pluie.
La couleur des drapeaux est déterminée par le président de la République. Elle est traduite en norme précise pour les fabricants. Si le blanc et le rouge ne changent guère ou marginalement, le drapeau français a régulièrement changé de bleu. D’un bleu plus clair, au bleu de France ou bleu tirant sur le bleu marine, le bleu change plus régulièrement de nuance.
Les manières de présenter et de composer les drapeaux
Présentations
Le protocole et les drapeaux
Comment sont accrochés les pavoisements ?
Les installateurs étaient autrefois de véritables acrobates. Ils montaient jusqu’à 7 m 20 de haut sur une grande échelle escabeau triangulaire en métal, gardée sur place, portant l’inscription « spécial pavoisement ». Au sol, l’écartement dépassait les 1 m 50 de large.
Les installateurs devaient alors être 5 pour réaliser l’accrochage.
Deux restaient au sol pour maintenir l’échelle en utilisant des cales dès lors que le sol n’était pas droit.
Deux autres montaient deux à deux à côté le trophée (pesant aisément 10 kg).
Le 5e, déjà perché en haut, accrochait le drapeau à un crochet dédié sur la façade.
Depuis 2002, on emploie une nacelle élévatrice pouvant monter jusqu’à 16-20 mètres.
Les pavoisements spéciaux pour certains événements
Lors de certains événements, le pavoisement est spécial. Notamment :
- le jour de l’investiture du président de la République au palais de l’Élysée. Ce jour-là, 2 trophées à 5 hampes (et exclusivement composés de drapeaux français) sont ajoutés sur la grille du Coq, l'entrée du jardin de l’Élysée, avec composition en draperie spéciale remontant en rideau ;
- pour les deuils nationaux.
Les pavoisements de deuil
Sous la Cinquième République, le deuil national a été décrété neuf fois :
-12 novembre 1970, après la mort de l’ancien président de la République, Charles De Gaulle, le 9 novembre ;
- 6 avril 1974, après la mort de Georges Pompidou le 2 avril, président de la République en exercice ;
- 11 janvier 1996, après la mort de l'ancien président François Mitterrand (1981-1995) ;
- 14 septembre 2001, après les attentats du 11 septembre aux États-Unis (seul deuil national qui honore des personnes décédées hors du territoire national) ;
- 8 janvier 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier ;
- 15-17 novembre 2015, après les attentats du 13 novembre en Île-de-France. Pour la première fois, le deuil national est déclaré pour une durée de trois jours, au lieu d’une journée pour les précédents ;
- 16-18 juillet 2016, après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice ;
- 30 septembre 2019, après la mort de l'ancien président Jacques Chirac (1995-2007) ;
- 9 décembre 2020, après la mort de l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981).
Les Trésors du mobilier national : Entre les murs des palais, film, 2015 (parmi les dernières scènes filmées, confection d'un pavoisement).