Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Entretien et portraits à l'atelier de lustrerie bronze Daniel Jalu, chef d’atelier, et Marie-Pierre Bel, technicien d’art
Temps de lecture 7 min

Pour Une Lautre

Entretien avec Daniel Jalu, chef d’atelier, et Marie-Pierre Bel, technicien d’art, à l'occasion de l'exposition L'Esprit et la Main organisée en 2015 à la Galerie des Gobelins, qui présentait des démonstrations du savoir-faire des ateliers.

Cet entretien, réalisé en 2015 au sein de l’atelier, retranscrit les propos des restaurateurs le plus fidèlement possible.

Il s’agit pour le lecteur de les écouter parler pour s’imprégner de l’esprit de l’atelier.


Quelle est la mission de l’atelier de lustrerie-bronze ?

Nous restaurons des pièces d’ameublement, des bronzes de meubles, des bronzes de pendules, mais aussi du luminaire, comme les lustres, les lampes, les appliques, les liseuses, les candélabres et les bougeoirs. Nous intervenons en priorité sur des pièces qui sont au palais de l’Élysée, dans les ministères et les ambassades. Ce sont des pièces d’exception, d’époques différentes, allant du siècle des Lumières jusqu’à Napoléon III. Dès que nous avons des pièces à refaire, nous faisons le tournage, la monture et la ciselure, le technicien doit maîtriser les trois métiers du bronze.

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Restauration de pendule, photo isabelle Bideau

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

Nous choisissons le bronze peut-être parce que nous sommes des têtes brûlées, nous aimons ce côté froid du métal, qui permet d’être travaillé dans son intégralité. Il n’a pas de veines comme dans le bois, nous pouvons ainsi en faire ce que nous voulons, aussi bien en bijouterie, en orfèvrerie, en bronze d’ameublement qu’en statuaire.

Une des qualités que doit avoir un bronzier, c’est déjà d’avoir de la force, pas surhumaine, mais de la force quand même. Le métal réagit à notre frappe et nous devons le maîtriser, aussi bien quand les pièces sont montées et qu’il faut les déformer pour qu’elles épousent le bois que pour tout ce qui est ciselure. À ce moment-là, c’est la frappe de la main qui, à l’oreille, permet de savoir si le geste est bon ou pas dans le travail.

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Quelle formation faut-il suivre aujourd’hui ?

Toute l’équipe ici, dans cet atelier, a eu une formation à l’École Boulle : bronzier, monteur, tourneur et ciseleur sur bronze. La formation est adaptée à des élèves de troisième, de seconde et de première, car il y a l’apprentissage de la technique et de la théorie.

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Restauration de pendule, photo Isabelle Bideau

Selon vous, quels gestes ou quelles attitudes rythment et définissent votre savoir-faire ?

Nos gestes sont toujours précis. Nous avons une méthodologie dans le travail qui fait que nous avons une multitude de gestes adaptés à l’objet, au type d’intervention, aux matériaux, à l’état de conservation… Chaque pièce et chaque démarche sont uniques.

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Pouvez-vous nous parler d’un cas d’école, présent ou non dans l’exposition L’Esprit et la main ? Quelle a été votre démarche ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Daniel Jalu : à titre personnel, c’est la pendule de la chambre à coucher de Napoléon au palais des Tuileries en marbre griotte rouge qui m’a particulièrement marquée (GML 2891). L’origine et l’historique de la pièce ont rendu le travail d’autant plus intéressant. Il a fallu reconstituer dans la masse à l’identique une guirlande manquante en inversant la symétrie. Nous sommes satisfaits du résultat, qui est époustouflant. Travailler sur cette pendule nous permet donc de mêler histoire et prestige.

Il y a des quantités d’objets dont nous pouvons être fiers.

Quand le Louvre a été restauré[1], nous nous sommes chargés de tous les gros lustres. Le plus fabuleux mesure 6,5 mètres de hauteur, et c’est l’atelier qui l’a restauré. Étant donné le nombre de pièces, et comme nous démontons les objets que nous restaurons, il y en avait partout !

Nous avons dû le remonter sur place sans pouvoir au préalable vérifier l’assemblage. Il y avait un petit risque, mais tout s’est bien passé. C’était un gros chantier et une belle expérience d’atelier, qui a duré deux ans. Imaginez ! Cent cinquante lumières, la cristallerie…

L’ampleur du chantier était impressionnante. C’est le plus gros volume sur lequel nous avons travaillé. Actuellement, il est dans le salon du duc de Morny, au Louvre, entouré de mobilier d’époque Second Empire.

[1] Lors du transfert des locaux du ministère des Finances vers le bâtiment de Bercy, les salons ont été restaurés et ouverts au public. Ils font partie du parcours du département des Objets d’art du musée du Louvre.

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Pendule de la chambre à coucher de Napoléon au palais des Tuileries, GML 2891, photo Isabelle Bideau

Avez-vous assisté à une évolution qui a marqué votre profession en termes de techniques ou de technologies ?

La découverte de nouvelles techniques se fait petit à petit. La fonte à cire perdue, l’élastomère… Il y a des côtés à la fois positifs et négatifs à ces nouvelles pratiques qui changent notre manière de travailler. Par exemple, on constate un gain de temps au niveau de la ciselure, mais un coût plus important. Néanmoins, on observe un réel gain de temps pour un rendu qui est assez propre. La fonte au sable, qui existe depuis plus longtemps, est beaucoup plus grossière, et demande un plus gros travail de ciselure. Cependant, le rendu est meilleur. Le plus important reste les nouveaux produits de nettoyage. Il faudra à l’avenir se mettre en relation avec des chimistes pour aboutir à de vraies solutions de nettoyage. En tout cas, l’atelier s’y intéresse de près car le nettoyage des pièces est primordial pour leur rendre leur éclat d’antan.

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D’après vous, qu’est-ce qui fait la spécificité du fait de travailler au Mobilier national ? Comment s’exprime cette particularité en termes de savoir-faire ?

C’est d’abord la qualité des objets sur lesquels nous intervenons : nous avons du beau, de l’exceptionnel, du haut de gamme !

C’est un lieu très particulier au niveau des ateliers, de la manière dont ils sont constitués, au niveau des outils : certains ateliers extérieurs ne sont pas aussi bien équipés. C’est vraiment idéal de travailler dans ces conditions.

Il faut savoir que pour rentrer au Mobilier national, le niveau bac est demandé. Fin 2015, deux postes de bronziers seront proposés par le biais d’un concours de la fonction publique.

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Reserve lustrerie, photo Vincent Leroux

En quelques mots, s’il fallait restituer l’esprit de l’atelier dans lequel vous travaillez au Mobilier national, que diriez-vous ?

La complémentarité : monteur, ciseleur… C’est important, utile et nécessaire. Nous avons besoin de cette complémentarité et du travail en équipe pour réaliser une restauration de qualité.

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Comment envisagez-vous l’exercice de votre profession dans vingt ans ? dans cent ans ?

Notre aspiration, c’est le recrutement !

Un effectif de dix !

Progresser, évoluer vis-à-vis de l’extérieur, des mentalités, en améliorant la qualité de travail, les techniques de restauration au fur et à mesure, toujours avec la même dynamique. La ciselure existait sous Louis XIV et la technique est toujours là.

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Comment avez-vous pensé et vécu l’exposition L’Esprit et la main ?

Cette exposition est très bien présentée. À l’annonce de l’exposition, nous étions mitigés. Nous avions peur de ne pas avoir le temps de nous investir dans le projet. Nous avons laissé carte blanche au scénographe et à l’inspecteur chargé des collections de bronzes. Notre rôle a été de finaliser en essayant de retranscrire dans notre espace l’esprit de l’atelier. Par conséquent, la découverte s’est faite au fur et à mesure.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main, 2015, photo Yvan Moreau

Quel est le message le plus important que vous souhaitez transmettre sur votre profession ?

Faire connaître nos métiers qui se perdent. Tous les visiteurs avec qui j’ai pu discuter étaient très surpris de découvrir notre métier. Je regrette cependant de ne pas voir plus de jeunes dans l’exposition.

Les destinations de prestige du mobilier restauré donnent un côté magique à ce métier. En tant que lustriers, nous avons la chance d’aller sur les sites où sont déposés les objets. Nous pouvons nous retrouver dans le salon du président de la République, dans ses appartements privés, pour poser un lustre par exemple. Tous les ateliers n’ont pas cette chance.

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Quel est l’impact sur la façon dont le public perçoit votre métier ? Que vous apporte cette rencontre avec le public ?

Je retiens la joie des visiteurs qui découvrent notre métier, ainsi que les autres spécialités présentes au Mobilier national. Ils constatent que nous entretenons à la fois le patrimoine et ces métiers ancestraux. Satisfaits, allant même jusqu’à mentionner que leurs « impôts servent à quelque chose ici », ils repartent avec le sourire.

Il nous a été enseigné un savoir-faire qui est méconnu du grand public, du coup, à notre tour, nous avons envie de le transmettre. C’est par cela que les visiteurs sont interpellés. Ils ne le percevaient pas avant. Pour eux, le Mobilier national était une institution assez opaque.

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L'atelier dans l'exposition L'Esprit et la main, 2015, photo Yvan Moreau

Comment avez-vous réussi à recréer votre atelier dans l’espace muséal qui vous était dédié ? Comment vous l’êtes-vous approprié ? Quels choix scénographiques avez-vous réalisés ?

Nous avons réussi à présenter tous les matériaux que nous utilisons. C’est très satisfaisant. La cristallerie n’est pas accessible car elle est placée en vitrine, alors que c’est un domaine fascinant. Le cristal de roche est un matériau très rare et très précieux. On ne pourrait pas le manipuler au quotidien.

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Lustrerie-bronze, photo Vincent Leroux
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Photo Isabelle Bideau
Bibliographie

Ch. Naffa-Bayle dir., L'Esprit et la main, Gourcuff Granedigo, Paris, 2015.