Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Entretien et portraits à l'atelier de tapisserie de décor Laure Dauvier, chef d’atelier. Nathalie Célas, sous-chef. Fabienne Villiers, sous-chef
Temps de lecture 8 min

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Entretien avec Laure Dauvier, chef d’atelier, Nathalie Célas, sous-chef, et Fabienne Villiers, sous-chef, à l'occasion de l'exposition L'Esprit et la Main organisée en 2015 à la Galerie des Gobelins, qui présentait des démonstrations du savoir-faire des ateliers.

Cet entretien, réalisé au sein de l’atelier, retranscrit les propos des restaurateurs le plus fidèlement possible.

Il s’agit pour le lecteur de les écouter parler pour s’imprégner de l’esprit de l’atelier.


Quelle est la mission de l’atelier de tapisserie de décor ?

La première mission de notre atelier consiste principalement à créer les décors dans le cadre des ameublements des résidences présidentielles et ministérielles (rideaux, lambrequins, tentures, etc.). La seconde mission consiste à restaurer le mobilier contemporain. Dans ce cas, il s’agit du nettoyage, de la remise en état de la partie confort des sièges et puis surtout du travail en collaboration avec l’Atelier de Recherche et de Création, pour mettre en forme les dessins des créateurs. On ne crée pas un siège ici et on ne va pas le dessiner. On va le mettre en confort, c’est-à-dire réaliser l’œuvre d’un designer. Il l’a dessiné, il l’a vu, et à nous de lui donner vie.

Le principal challenge de l’atelier que nous avons à réaliser, c’est l’intervention sur place et le temps qu’on nous octroie pour les interventions et les confections. Ces dernières sont souvent grandes : les rideaux peuvent peser jusqu’à 20 kilos et nous pouvons travailler à des hauteurs de 5 à 6 mètres. Le défi consiste aussi à adapter un décor historique. Ce sont des salles d’apparat où l’on reçoit du public : il y a donc des normes non feu, des normes esthétiques, qui sont imposées. Pour respecter cela, nous travaillons avec les maisons de tissus qui ont maintenant la capacité de tisser des cartons historiques avec des matières non feu et notamment des fils Trevira, avec des rendus assez spectaculaires.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

Nathalie Célas : quand j’étais enfant, j’ai toujours voulu faire un métier manuel. Très jeune, j’ai fait des ateliers de dessin, de poterie et de sculpture, puis quelqu’un a eu l’idée de me montrer le métier de tapissier, une voie que j’ai suivie avec facilité.

Laure Dauvier : j’ai toujours aimé l’ornementation textile. Je suis quelqu’un qui est passionné par la broderie d’ameublement, par tout ce que l’on peut ajouter sur un textile pour le rendre sublime.

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Couture d'une copie du bivouac de Napoléon, vers 2015, photo Isabelle Bideau

Quelle formation faut-il suivre aujourd’hui ?

C’est une formation en fin de troisième : il y a les lycées professionnels qui proposent des bacs de métiers d’art en ameublement en trois ans, avec les deux options décor et garniture, ou bien vous avez les formations en apprentissage dans les centres de formation pour apprentis. Il y a quelques certificats d’aptitude professionnelle (CAP) qui existent encore. On peut intégrer ce genre de formation après un bac général aussi. Pour entrer au Mobilier national, c’est sur concours, comme partout dans la fonction publique. Un niveau bac professionnel ou général et une expérience dans le métier sont demandés. C’est un concours en deux parties, une partie d’admissibilité, avec un écrit et deux oraux, et une partie technique d’admission.

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Travail pour le boudoir d'argent, photo Isabelle Bideau

Selon vous, quels gestes ou quelles attitudes rythment et définissent votre savoir-faire ?

Il y a l’envie, la curiosité et la faculté de transmettre. Il faut absolument connaître le métier de tapissier pour développer cette évolution. Pour la partie plus contemporaine, il faut avoir un peu d’envie et faire preuve d’ingéniosité. Il faut s’intéresser aux matériaux contemporains, qui évoluent très vite aujourd’hui et sur lesquels il n’y a pas de réelle formation. Le mobilier a une utilité.

Ce qui est judicieux, c’est de se demander comment faire pour le rendre encore plus confortable. On est dans le domaine de l’ergonomie. Il faut inventer constamment avec les matériaux disponibles, qui peuvent être des matériaux de récupération, de manière à restituer à l’œuvre toute sa valeur. On doit toujours avoir le même aspect, une finition identique, une perfection dans notre travail.

Pour le geste, c’est la confection, la finesse, la délicatesse d’assembler des textiles pour qu’on ne voie pas la reprise, pour avoir un rendu le plus esthétique possible. Toutes nos étapes et tous nos gestes doivent être pensés.

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L'atelier confectionne une copie du bivouac Napoléonien vers 2015, photo Isabelle Bideau

Pouvez-vous nous parler d’un cas d’école, présent ou non dans l’exposition L’Esprit et la main ? Quelle a été votre démarche ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Équipe décor : c’est la salle des fêtes de l’Élysée, ma première grande réalisation en tant que responsable d’atelier, et c’était un dossier qu’il fallait mener en neuf mois.

Il y a trente-cinq fenêtres, vingt-trois bandeaux, 1 800 mètres de tissu : c’était un très beau chantier.

Équipe restauration contemporaine : l’une de nous s’était vue demander d’accrocher une tapisserie dans un ministère alors que, normalement, ce n’est pas notre travail mais celui du service des magasins. La tapisserie mesurait 5 mètres de larges par 7 mètres de long, mais le mur avait pour dimensions 5 mètres par 5. La solution fut de trouver une présentation différente, de concevoir un tremplin afin de gagner de la dimension. Cependant, le plafond était plein de tuyaux de chauffage. Il a fallu faire des relevés avec un échafaudage et concevoir à l’atelier des équerres spécifiques avec des planches de Velcro. Et la tapisserie est toujours en place.

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Prototype du décor de la salle des fêtes de l'Élysée à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux
Travaux préparatoires pour le décor de la salle des fêtes de l'Elysée, photo Isabelle Bideau

Avez-vous assisté à une évolution qui a marqué votre profession en termes de techniques ou de technologies par exemple ?

Au départ, il y avait surtout des fibres en partie naturelles et d’un seul coup on en est arrivé à des mélanges de fibres naturelles et de fibres contemporaines, du polyamide, du polyester. Les chimistes inventent sans cesse de nouveaux matériaux. On a beaucoup évolué et on se rend compte qu’il y a des matériaux qui ne sont pas restaurables. Aujourd’hui, on est dans une démarche où l’on essaie de penser à la pérennité des matériaux contemporains et à la réversibilité de la restauration. Pour la partie décor, selon la valeur et l’authenticité de celui-ci, nous essayons de le conserver au mieux.

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Matériauthèque de l'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

D'après vous, qu’est-ce qui fait la spécificité du travail au Mobilier national ? Comment s’exprime cette particularité en termes de savoir-faire ?

C’est cette envie, cette transmission, c’est la pensée, le côté un peu fou de certains projets et le devoir de réserve. C’est aussi pour cela que nos ateliers ne peuvent pas être ouverts. Pour le Mobilier national, le travail doit toujours être exceptionnel. À nous de faire perdurer nos savoir-faire et nos qualités de travail, pour que cette institution perdure.

Ce qui est très particulier, ce sont les lieux de prestige dans lesquels nous intervenons et la partie recherche comme le côté historique du décor. Quand on fait une reconstitution historique, nous consultons les inventaires et nous essayons de les décrypter pour refaire à l’identique. C’est un travail très intéressant. Et puis, il y a le travail en équipe, avec les autres corps de métiers.

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Le livre des confections de l'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

Comment envisagez-vous l’avenir de votre profession dans vingt ans ? dans cent ans ?

Ne sciez pas la branche sur laquelle vous êtes assis. (Rires.) Vous avez une institution qui est belle, qui vous permet quelque part d’avoir une vie. Nous vivons une passion et nous avons tout pour être heureux.

Peu de personnes ont la chance de venir dans une institution comme celle-ci, d’avoir cette interaction avec leur travail – ici on s’attarde –, de faire interagir chaque personne.

Nous avons évolué dans nos fournitures, pas dans nos technicités. Même quand on fait évoluer certaines choses, on se rend compte qu’on revient en arrière parce qu’il y a des techniques qu’on a oubliées…

Et pour l’approche de conservation des œuvres, nous étudions les matériaux à utiliser, les manières de faire, pour penser en termes de réversibilité. La notion de conservation est assez nouvelle.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

Comment avez-vous pensé et vécu l’exposition L’Esprit et la main ?

Il y a un mur entre nous ! (Rires) entre les deux entités de l’atelier ! Nous n’avions pas prévu ce clivage, que nous soyons séparés. Pour nous, nous sommes un seul et même service même si nous faisons des choses très différentes.

Nous avons une identité unique et rattachée par des compétences, liée à une évolution nécessaire du métier. Cette évolution ne pouvait pas se faire par une scission. Si l’équipe travaillant sur le contemporain était amenée à augmenter, elle pourrait, à un moment donné, voler de ses propres ailes ! Le plus pénible, pour nous, c’est lors des démonstrations, quand il n’y a personne de l’un des deux stands.

Quant aux rapports que nous avons avec le public, nous lui expliquons véritablement quels sont nos buts, nos différentes missions. Les discussions sont intéressantes même si, bien souvent, la plupart des interrogations concernent le coût des restaurations.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

Que voudriez-vous que le public retienne de la visite concernant votre atelier ?

Montrer que les métiers d’art existent, que restaurer le patrimoine est important. C’est le conserver et le transmettre. En même temps, nous sommes fiers d’avoir des métiers extraordinaires, liés à des objets utilisés et pas seulement à un environnement muséal. Et cela, c’est vraiment la différence avec les autres institutions. Les objets ont de vraies vies ! (Rires.) Ils sont vivants et nous, nous sommes derrière. Et la deuxième mission, c’est la transmission du savoir-faire et puis surtout de l’amour de nos métiers. L’amour de l’institution. Nous ne sommes pas spécialement riches financièrement mais riches de savoirs et de connaissances… Les visiteurs, en venant nous voir, sont en quelque sorte avec nous, ils nous disent : « On est derrière vous ! Votre travail est extraordinaire ! Et vous êtes un peu la France, vous êtes le Mobilier national, vous êtes représentatifs de quelque chose, nous sommes fiers de vous. » Pour la deuxième partie de l’exposition, liée au bivouac de Napoléon, on s’est dit qu’il faudrait mettre une moquette et faire marcher les gens dessus pour la sensation…

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux

Quel serait le message le plus important que vous souhaiteriez transmettre sur votre métier ?

La transmission, d’abord, de l’amour de nos métiers et la valorisation d’une institution peu connue, sur laquelle des reportages télé commencent à se faire. Mais quoi qu’il arrive, ce qu’on souhaite, c’est que le public sache que nos métiers nous tiennent à cœur, qu’on ne veut surtout pas être assimilé à un fonctionnariat négatif. Il faut montrer ces métiers aux plus jeunes. Plus il y a de publicité, plus il y a de vocations.

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L'atelier, photo Isabelle Bideau

Comment avez-vous réussi à retranscrire votre atelier dans l’espace qui vous était dédié ? Comment vous vous l’êtes approprié ? Quels choix scénographiques avez-vous réalisés ?

Articuler, montrer toutes les passerelles que nous pouvions avoir entre nos différentes missions était l’un des points capitaux du projet. Donc le lien aussi avec l’Atelier de Recherche et de Création était important pour la partie contemporaine, car nous restaurons ce qu’il met en forme.

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L'atelier à l'exposition L'Esprit et la main en 2015, photo Vincent Leroux
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Textile du bivouac de Napoléon, photo Isabelle Bideau
Notes

Ch. Naffah-Bayle dir., L'Esprit et la Main, Gourcuff Granedigo, 2015.