La sellerie des bivouacs napoléoniens
Une reproduction technologique et traditionnelle de la sellerie de la tente en 2021
5 min
Le Mobilier national conserve une importante collection de bivouacs.
Exposé régulièrement pour les commémorations napoléoniennes, le bivouac de l'empereur Napoléon Ier fait l'objet de soins particuliers. La tente (GMT 2462) a été dotée d'une armature en métal légère et qui lui permette d'être montée sans avoir recours à des ficelles et sans planter des sardines dans le sol d'exposition.
Mais il était aussi temps de songer, comme à Lascaux, de réaliser une copie permettant la préservation de la tente ancienne.
Réalisée par l'atelier de tapisserie décor du Mobilier national sur les dimensions identiques, en matériaux anti-feu, cette sœur permet de faire découvrir quelques techniques napoléoniennes et les techniques mises en place pour cette réalisation en 2021.
A la découverte des pièces de cuir d'origine et de leur confection
Les tentes destinées à être plantées étaient renforcées sur les zones délicates : à savoir les points d'accroche des cordages et les points laissant sortir les mâts. Ceci évitait que la toile se rompe. On renforçait ces points par des pièces de cuir et il fallait donc recourir à la sellerie.
Commençons donc par la sellerie...
Traditionnellement, les pièces de cuir sont préparées avec un emporte-pièce.
Lors de la confection d'une première copie de la tente en 2012, tout le processus avait été réalisé à l'identique du XIXe siècle.
Les pièces à l'identique avaient été confectionnées à l'emporte-pièce par une entreprise spécialisée.
Dotées de larges trous ronds destinés aux cordages, ceux-ci avaient ensuite été réalisés à l'emporte-pièce et au marteau (au sein de l'atelier de tapisserie décor du Mobilier national).
L'étape suivante était l'utilisation de griffes destinées à marquer le cuir à l'endroit futur des points de couture pour faciliter le passage de l'aiguille et marquer l'inclinaison des points.
La pièce de cuir était ensuite cousue avec plusieurs épaisseurs de tissus à l'aide d'une alêne (poinçon de fer permettant de percer le cuir) qui traversait l'épaisseur du cuir et du tissu selon l'emplacement des griffes, cette étape préparait et aidait le passage des aiguilles à coudre.
La couture utilisée était celle du "point sellier".
Cette technique exigeait une contrainte de force importante. Pour la copie 2021, certaines étapes ont été accompagnées par des techniques de pointe et le recours à la découpe laser.
Outils à disposition pour la nouvelle confection
Quelques mots de vocabulaire
- Définition Griffe :
- Outil servant à griffer le cuir et préparer les trous de couture, les intervalles entre griffes sont réguliers. Ici 7 mm. On l'appelle donc la griffe de 7. Une griffe d'écartement 8 mm serait appelée une griffe de 8.
- Définition Alêne :
- Poinçon de fer utilisé pour percer le cuir avant la couture.
- Définition Pince sellier :
- Grande pince d' 1 m 05 de long. Elle est placée entre les jambes pour permettre de maintenir des petites pièces de cuir à percer et à coudre. Dans ce cas précis, elle est remplacée par un système de pince-étau.
- Définition Point sellier :
- Point incliné, réalisé à deux aiguilles et donc deux fils, c'est le point le plus solide qui permette de coudre et maintenir un cuir.
- Définition Trotec :
- Machine de découpe laser. Elle fonctionne avec un logiciel "Coreldraw" qui permet de réaliser des dessins en vectoriel. Le dessin fini est envoyé au logiciel de la machine, "Job". A commandes numérique, la Trotec découpe selon le dessin, à l'aide d'un rayon laser.
- Définition Marteau rivoir :
- Doté d'une à panne (= extrémité) arrondie et lisse, on l'utilise dans les techniques de finition pour marteler une surface. Dans ce cas, il permet d'écraser le fil et de l'intégrer au cuir.
Fil, boule de cire, ciseaux (oranges), pince (rouge), alêne
Griffe de 7 mm pour griffer le cuir et préparer les trous de couture
Alêne
Machine de découpe laser
Pince pour maintenir la pièce pendant qu'elle est trouée par l'alêne
Huile de pied de bœuf appliquée au pinceau pour assouplir le cuir
Du dessin à la découpe
Pour faciliter le piquage des pièces de cuir sur les parois de la tente et le toit de la tente, l'atelier travaille sur le logiciel Coreldraw.
Les pièces de cuir sont dessinées à l'ordinateur ainsi que l'emplacement des griffes aussi. Le travail effectué sur le logiciel Coreldraw, permet d'obtenir une pièce de cuir au plus près du modèle d'origine. La précision est au 1000e près.
On dessine d'abord la pièce de cuir complète (dessin extérieur) en trouvant les bonnes courbes, on ajoute les ronds voulus (ici diamètre 8 ou 11 mm selon les pièces).
On positionne de manière régulière les points de couture en fixant le gabarit (c'est le calepinage).
Pour remplacer les griffes, on a d'abord essayé de réaliser au laser des petits points de 0,45 mm d'épaisseur, puis après tests, on retient l'idée de dessiner des petits traits d'1 mm, de la même inclinaison que les griffes utilisées (griffes de 7 mm d'écartement), avec le bon espace, pour respecter le nombre de points selon le modèle d'origine.
Essai 1 de perforation par des points pour aider à réaliser une trace avec l'alêne (formule non retenue in fine)
Essai 2 de découpe à traits reproduisant la trace d'une alêne (formule retenue pour la parfaite application du point de sellier qu'elle offre au moment de la couture)
Réglages de découpe pas à pas
La machine Trotec est ensuite réglée pour découper l'ensemble des pièces.
Le laser présentant une coupe par brûlure, la tranche coupée apparaît noircie sur un premier essai. Le cuir est recouvert d'un scotch kraft. Cette astuce permet que la découpe ne présente plus de trace de brûlure.
Le réglage de découpe s'est fait à la puissance 65, vitesse 0,4 et fréquence 1000.
Les pièces de cuir sont ensuite découpées directement au Laser Trotec, selon le dessin Coreldraw.
Après quelques minutes, les pièces sont découpées, prêtes à être cousues, sans avoir besoin des longues étapes des griffes et des alênes. Les découpes des griffes permettent de faciliter le passage des alênes et aiguilles qui doivent traverser 1 cm d'épaisseur de cuirs et tissus.
La pièce coupée est nettoyée au chiffon imbibé d'eau et de vinaigre blanc.
Huilage des pièces
Les pièces de cuir sont assouplies par huilage (ici huile de pied de bœuf)
Couture
On applique enfin le "point sellier". La préparation des pièces permet de réaliser un point parfaitement homogène, divise le temps de couture par quatre et nécessite une force de poignet moindre.
Un système astucieux a été mis au point pour prendre en étau la pièce sur les établis grâce à des équerres.
Martelage des pièces de cuir cousues
La pièce cousue forme une certaine épaisseur. On la martèle au marteau rivoir, ce qui permet de l'aplatir et d'intégrer les fils au cuir. Et la réalisation est achevée.
Le bivouac de Napoléon, luxe impérial en campagne, Silvana editoriale, 2014
ll bivacco di Napoleone lusso imperiale « en campagne », Sillabe, 2014
L'Esprit et la main, Gourcuff Granedigo, 2015