Les anciens métiers à tisser des Gobelins
A quoi ressemblaient-ils au XVIIIe siècle ?
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Louis François Dubois de Saint-Gelais, dans son Histoire journalière de Paris, rédigée en 1716-1717 et éditée en 1885 (p. 150) offre une des premières descriptions précises sur l'art de monter des métiers à tisser de haute et basse lisses dans un article intitulé "Tapisserie de haute et basse lisse". Nous avons agrémenté ce récit de visuels chronologiquement les plus proches possibles.
Le métier à tisser de haute lisse
"Le métier pour la tapisserie de haute lisse est posé en hauteur, ce qui lui donne la dénomination. L’ouvrier est placé entre le tableau qu’il copie et son ouvrage, qu’il travaille par derrière, en sorte qu’il est caché. La tapisserie de basse lisse se travaille aussi à l’envers par une raison commune ; à l’une et à l’autre tapisserie, qui est que l’étoffe laisse des bouts en une si grande quantité qu’ils nuisent autant à la correction du dessin qu’à la perfection de l’ouvrage, y ayant telle tête caractérisée où il entre jusqu’à trois cents couleurs différentes."
Laines, soies, or et argent
"On entend par étoffe, l’or, l’argent, les soies et les laines qui s’emploient, le tout étant dévidé pour la haute lisse sur des espèces de fuseaux qu’on appelle broches, et pour la basse lisse en petites pelotes longues que l’on nomme flûtes ; et ces broches et ces flutes sont sans nombre. Les bouts s’arrêtent avec de petits nœuds qu’on fait sur le fil sans couper l’étoffe."
"Les filets de laine blanche torse en quatre, qui composent la trame sur laquelle l’ouvrage se travaille, s’appellent les fils ou les chaines ; et l’on donne le nom de lisse aux ficelles qui tirent les fils qui sont par-devant pour faire passer l’étoffe à travers, afin d’y former le dessin ; c’est à cet égard la même chose que ce que fait le tisserand."
Du dessin au tissage
"Le trait du tableau se trace sur la chaine avec de la pierre noire et c’est le seul recours que les tapissiers haut-lissiers [sic] aient pour l’exécution correcte du dessin, ce qui fait que tout l’ouvrage dépend entièrement de l’intelligence de l’ouvrier qui doit juger quelles forces de couleurs et quelle quantité il doit employer pour copier son tableau à peu près de la même manière qu’il est de l’art du peintre de savoir choisir sur la palette les couleurs propres à peindre son sujet, chose fort difficile il est vrai que le haut-lissier peut voir son ouvrage à l’endroit quand il veut en corriger les défauts qu’il y trouve, ou qu’on y reprend, en défaisant ce qui est mal : avantage qui contribue extrêmement à la perfection de la haute lisse."
"Elle ne se fait pas, non plus que la basse lisse, à points comptés comme les ouvrages de Lyon, ou de petit point."
"On travaille la haute dans le cours de la pièce et non pas dans la hauteur ; ce qui vient apparemment de ce qu’il faudrait des métiers trop longs lorsque ce sont de grandes pièces, d’où qu’il arrive que ce que l’ouvrier copie se trouve couché pour venir dans l’état naturel, quand la pièce est faite."
"La tapisserie de haute lisse passe chez tous les connaisseurs pour la plus belle et la plus parfaite. Sa rareté lui donne encore du prix, n’y ayant dans le monde que la seule manufacture des Gobelins où il s’en fasse, ce qui augmente l’admiration des étrangers."
Le métier à tisser de basse lisse
"Le métier pour la tapisserie de basse lisse est porté horizontalement, c’est-à-dire comme celui des tisserands.
Elle se travaille de même que la haute lisse dans le cours de la pièce, mais autant avec les pieds qu’avec les mains, et la lisse est de fil.
Le tableau est sous la chaine et l’ouvrier la copie trait pour trait, comme quand on claque.
Cette manière est à la vérité plus aisée que celle de la haute lisse ; mais ne laissant voir l’ouvrage que lorsqu’il est fini, et « hors de dessus » le métier, elle empêche de corriger les fautes : ce qui est cause que la basse lisse n’est jamais aussi parfaite que la haute lisse, outre que c’est une forme de défaut que les dessins se trouvent à rebours comme dans une contre-épreuve d’estampe, parce que se travaillant, ainsi que la haute lisse à l’envers et l’endroit regardant le tableau, ce qui est à droite vient à gauche, à moins qu’on ne fasse des tableaux exprès à contre-sens.
Dans le reste, la basse lisse ne diffère point de la haute lisse."