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Mobilier National

Le décor en pâte-sur-pâte Une technique inventée par la manufacture de porcelaine de Sèvres
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De son invention à ses secrets, découvrez la technique du pâte-sur-pâte, ou pâte rapportée, ou encore pâte d’application, inventée à la manufacture de Sèvres par hasard vers 1848, lors d’essais, qui contribua à la renommée de l'établissement.

Histoire d'une invention

La technique est créée à la Manufacture de Sèvres vers 1848, par erreur lors d’essais de reproduction des décors floraux en relief blanc d’un vase céladon chinois présent dans les collections du musée de la céramique de Sèvres.

On raconte que le conservateur Riocreux admire tant ce vase qu’il demande à un modeleur de la manufacture, Fishback, d'essayer d’en reproduire l’effet. On pensait alors que le décor blanc avait été appliqué sur le fond céladon, ce qui amena à la technique de la "pâte-sur-pâte". On sait désormais que le coloris céladon fut en fait posé tout autour des motifs en relief.

Marc-Louis-Emmanuel Solon, dans un article dédié au « Pâte sur Pâte » publié dans The Studio en janvier 1894 raconte : « The name of "Pâte sur Pâte" (body upon body) always seemed to me most appropriate to the process, and I adopted it, although at the manufactory of Sèvres it was soon replaced by various other terms, such a "Pâte rapportée", "Pâte d’application", used ever since ».

Marc-Louis-Emmanuel Solon, dans un article dédié au « Pâte sur Pâte » publié dans The Studio en janvier 1894 raconte : « Le nom de "Pâte sur Pâte" (matière sur matière) m'a toujours semblé le plus approprié pour ce processus, et je l'ai adopté, même si, à la manufacture de Sèvres, il fut tôt remplacé par d'autres termes variés comme "pâte rapportée", "pâte d’application", utilisés depuis lors ».


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Vase, collection du Mobilier national, GML-7778-001

La technique pas à pas

Cette technique décorative vitrifiée sur porcelaine consiste à appliquer au pinceau, ou à l’aiguille pour plus de finesse, sur la surface colorée et seulement séchée à l’air de la pâte dégourdie (première cuisson) et donc encore poreuse, de fines couches successives d’argile liquide blanche (barbotine), chaque couche devant avoir séché avant de poser la suivante.

Les motifs sont ensuite taillés, sculptés à l’aide d’outils métalliques pour affiner les reliefs.

Le résultat donne un effet de bas-relief semblable au camée par des jeux remarquables de transparences qui n'apparaissent qu'à la cuisson.

Ce procédé est long et coûteux à produire. Il nécessite également un grand savoir-faire, l’artiste ne pouvant se corriger.

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Vase de Sèvres, 1858, collection du Mobilier national, GML-792-002

Essor de la technique

Certains artistes s’en font une spécialité, comme Marc-Emmanuel-Louis Solon (1835-1913). Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris et entré à la Manufacture de Sèvres vers 1857-1861, il est désigné par le chimiste Henri-Victor Regnault auprès du sculpteur Hyacinthe-Jean Régnier pour travailler au perfectionnement de la nouvelle technique de pâte-sur-pâte. Il dispose du temps et des moyens nécessaires pour mener ses travaux.

Par ailleurs, Solon expérimente sur son temps libre, financé par le marchand Eugène Rousseau, des modèles de sa propre composition sur base de porcelaines de Chine qu’il signe du nom de « Milès » (nom contenant ses initiales M. L. S.), ne pouvant signer de son vrai nom en tant qu’employé de Sèvres.

Lors de l’exposition de l’Union centrale des Arts appliqués à l’Industrie de 1865, l'auteur du rapport officiel, Régnault, souligne la différence entre les œuvres propres de Solon, et celles de la manufacture de Sèvres. Alors que Sèvres emploie des fonds de couleurs légères, comme le céladon, Solon superpose les couches sombres afin d’obtenir un contraste plus marqué entre le corps foncé opaque du support et les figures transparentes du décor en pâte-sur-pâte.

La guerre franco-prussienne met un terme à sa carrière en France. Il part avec un ami pour l’Angleterre, où il est employé par la manufacture Minton, manufacture prospère à Stoke-on-Trent dans le Staffordshire.

Les Manufactures Nationales 417
Extrait de l'ouvrage de M. Vachon et H. Havard, Les Manufactures nationales, Paris, 1889

Le Parian (ou porcelaine de Paros) utilisé à Minton, une porcelaine anglaise tendre à grain fin imitant le marbre de Paros (d’où vient son nom), s’avère idéal par sa température de cuisson inférieure à la porcelaine dure alors beaucoup utilisée à Sèvres. Il permet une gamme plus large de coloris, notamment par ajout d’oxydes métalliques (dont peu résistent à de hautes températures de cuisson), des coloris plus foncés, tandis que Sèvres employait principalement des tons céladon.

D’autre part, la porcelaine dure en pâte caméléon ou pâte changeante, découverte à Sèvres par le chimiste Alphonse Louis Salvetat et présentée à l’Exposition universelle de 1862, de teinte gris clair ou vert céladon à la lumière du jour, et passant au violet à la lumière artificielle, est alors aussi particulièrement appréciée comme fond aux décors de pâte-sur-pâte.

Solon forme à Minton des apprentis et la technique se poursuit durant une trentaine d’années après sa mort en 1913.

À Sèvres, la technique n'est plus utilisée après 1930.

Les œuvres à décor en pâte-sur-pâte sont uniques. Elles se différencient de techniques mécaniques comme les porcelaines de Wedgwood. Le Wedgwood jasper ware présente, lui aussi, des décors en reliefs blancs sur fond coloré. Mais chaque partie du modèle est obtenue dans un moule puis collée sur la pièce à orner. Ainsi, le décor peut être copié à l’infini, tandis que les œuvres en pâte-sur-pâte sont des originaux. Ces bas-reliefs, souvent repris de motifs antiques, n’atteignent pas la translucidité des pâte-sur-pâte.

Quelques grands noms de la technique pâte-sur-pâte

Plusieurs noms sont associés à Sèvres à la spécialité de la pâte-sur-pâte, comme Marc-Emmanuel-Louis Solon (1835-1913), Léopold-Jules-Joseph Gély (1820-1893 ?), sculpteur et modeleur à la manufacture de 1850 à 1889/1894, ou encore Alfred-Thompson Gobert (1822-1894), peintre à Sèvres de 1849 à 1887 puis directeur des travaux d’art de 1887 à 1891, ou encore Taxile-Maximin Doat (1851-1938), décorateur et modeleur à Sèvres de 1877 à 1905.

Etiquette Pate Sur Pate
Collection privée, droits réservés

Léopold-Jules-Joseph Gely

Gml798 001 Vase Delhi Bouteillene
Vase de Sèvres, collection du Mobilier national, GML-798-001
Gml 7778 001 9 2007
Vase, collection du Mobilier national, GML-7778-001
Gml 181 002 13 507950
Vase, collection du Mobilier national, GML-181-002

Marc-Emmanuel-Louis Solon

Gml 810 000 11 540978
Vase, 1867, collection du Mobilier national, GML-810-000
Gml 810 000 11 540979
Vase, 1867, collection du Mobilier national, GML-810-000
Gml792 002 Vase Potiche Chinoise Vase Rilini Pecher
Vase de Sèvres, 1858, collection du Mobilier national, GML-792-002
Gml792 001 Vase Potiche Chinoise Vase Rimini Chasser
Vase de Sèvres, 1858, collection du Mobilier national, GML-792-001

Taxile-Maximin Doat

Gml10907 000 Vase Taxile Doat
Vase, 1903, collection du Mobilier national, GML-792-002
Gml8677 000 Vase Lecho La Source Bideau
Vase, collection du Mobilier national, GML-8677-000
Bibliographie

Collections en ligne du Mobilier national, collections à décor en pâte-sur-pâte dans les collections du Mobilier national

Crédits photo

Gérard Jonca, RMN-Grand Palais, Patrice Schmidt, Isabelle Bideau, RMN-Grand Palais, Stéphane Maréchalle, Françoise Baussan, Wikimedia commons, Droits réservés.