Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Le fil d’or en tapisserie Composition, usage, histoire
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Fil d'or

Lors de leur formation au Mobilier national, les élèves de première année en restauration tapisserie découvrent la pratique du tissage à fil d’or.

Voici l’occasion d’exhumer les manuscrits techniques de la manufacture des Gobelins, vitrine de la tapisserie française qui le pratiqua pour répondre au commandes royales les plus précieuses.


Dsc 0871

De quoi est constitué le fil d'or ?

La composition du fil d’or a évolué avec le temps. Mais le principe demeure le même : il s’agit en général d’un fil textile sur lequel est enroulé un fil métallique.

Gmtt 82 3 Alexander

Tenture de L'Histoire d'Alexandre. La bataille d'Arbelles, d'après Charles Lebrun, tapisserie des Gobelins, 1664-1680. Collection du Mobilier national, GMTT-82-3

Gmtt 1 3 Triumph Of Bacchus

Tenture du Triomphe des dieux. Le Triomphe de Bacchus d'après Jules Romain, 1534-1571. Collection du Mobilier national, GMTT-1-3

Gmtt 96 4 Winter Cybele

L’Hiver ou Cybèle. Collection du Mobilier national, GMTT-96-4

Le 2 mars 1891, voici ce que met à jour le laboratoire de teinture des Gobelins sur l’« Analyse de fils de soie dorés » (dans son Registre des expériences et essais n° 1, archives du Mobilier national). Sur trois échantillons issus de différentes tapisseries des XVIIe et XVIIIe siècles. Les fils ont tous la même structure : ce sont des fils de soie, sur lesquels on a enroulé un autre fil d'argent doré, plat. Les proportions de métal précieux néanmoins diffèrent selon le tissage.

L’échantillon n° 1 porte sur des fils anciens d’une Portière des dieux d'Audran [...] du XVIIIe siècle. Les fils d’or consistent en 60,6 % de matière textile pour 39,4 % de métal. La partie métallique est composée principalement d'argent et d'une petite proportion d'or (plus une ancienne trace de cuivre).

L’échantillon n° 2, porte sur des fils qualifiés de « nouveaux » de la tapisserie L’Audience au légat. Les proportions sont : matière textile 42,8 %, métal 57,2 %. La partie métallique contient une très forte quantité de cuivre, un peu d'argent et très peu d'or.

Enfin l’échantillon n° 3, issu d’une Portière d'Audran où le fil est estimé « ancien », la matière textile y représente 62,3 % du fil contre 37,7 % pour le métal. Le fil contient alors certaine proportion de cuivre, bonne proportion d'argent et peu d'or.

Comment est utilisé et manié ce fil ?

La longueur du point fait varier la surface d’or apparente et donc l’effet de lumière. Plus le point prend de chaines à la fois, plus le point de fil d’or sera long, plus la lumière se réfléchira, etc....

Aujourd’hui dans l’atelier de restauration du Mobilier national on emploie le terme de « crapautage » pour les divers points longs sur plusieurs chaînes.

Bideau 2020 01 Gob 255 011 9 2020
David et Dubois, Modèle pour fond de pliant en tapisserie, Premier Empire, GOB-255-011 Photographie Isabelle Bideau

C’est dans un manuscrit de 1830-1835 conservé au Mobilier national que nous sommes allés chercher les informations les plus anciennes et les plus précisés.

Il raconte comment la Révolution ayant mis un terme à l’usage des tissages à fils d’or, le XIXe siècle fut bien en peine de reprendre la technique lorsqu'il dut réaliser un décor en tapisserie pour le grand cabinet de l’empereur Napoléon Ier aux Tuileries.

On dut demander aux plus anciens et étudier les tapisseries héritées pour en retrouver tous les secrets. Gilbert Antoine Deyrolle consigna alors toutes ses connaissances pour les générations futures dans son Manuel sur l'art de la tapisserie, 1830-1835 (édité en 2020 sur Wikisource) que nous reproduisons ici fidèlement.

Illustration 22 Extraite Du Manuel Sur Lart De La Tapisserie Par Mr Deyrolle Ancien Chef Datelier Aux Gobelins
Deyrolle, Manuel sur l'art de la tapisserie, vers 1830-1835, Bibliothèque du Mobilier national

Le cas concret : le paravent de Napoléon

Gmt 23472 000 9 2020

« Vers l'année 1810 nous avons fait un meuble fond de laine rouge à figures et ornements, rehaussé en or. La composition des figures était du célèbre David, celle des ornements de l'habile architecte Mr Percier.

Dans sa fraîcheur, ce meuble était magnifique, mais soit que le tissu d'or n’ait pas été assez corsé, soit qu'il ait été, comparativement au tissu d'or des anciennes tapisseries, ce qu'est aujourd'hui la dorure sur cadre comparativement à ce qu'elle était anciennement, toujours est-il que ce meuble est devenu noir et méconnaissable en fort peu de temps ; tandis que nous voyons encore aujourd'hui des pièces très anciennes, rehaussées également en or, qui n'ont pas eu le même inconvénient quoi qu'ayant supporté toutes les intempéries.

Ce genre de travail totalement oublié depuis fort longtemps fut repris à l'occasion de ce meuble seulement.

L'exécution eut un brillant succès par l'intelligence avec laquelle nous avions varié les lumières rehaussées avec un seul et unique ton d'or.

Dans la fabrication, ce seul tissu produisait, par les combinaisons des hachures, par leur mélange, par les différentes manières de l'employer et de l'appliquer sur la chaîne les ressources d'une gamme de neuf à dix tons.

Dsc 1475
GMT-23472-000, paravent à fil d'or du grand cabinet de l'empereur Napoléon Ier aux Tuileries, d'après David et Dubois, 1811

Le gaufré, la lame-tournée et tous les effets de l'or

Voici comment en consultant l'ancienne fabrication et en recueillant les avis des plus anciens tapissiers de l'époque, nous avons reconnu et exécuté ce travail et comment au besoin, nous pourrions encore le faire.

On mélange sur broche un seul brin de tissu d'or et de soie de même hauteur ; puis sur une autre broche deux brins de tissu d'or pur, de sorte que ce dernier mélange fait déjà en dehors de la fabrication, un ton plus clair que le premier.

Dans le tissage ordinaire, on sait que deux tons combinés ensemble se donnent chacun mutuellement par le mélange de leurs hachures, trois parties diverses si les hachures sont de trois duites ; qu'en outre, il reste encore pour chaque ton, une partie franche si on la juge nécessaire. Ainsi on a donc pour passer de la soie pure à l'or-pur, six proportions de mélanges divers, et de là, en cessant le tissage ordinaire, on obtient de la lumière en faisant faire à l'or pur un gaufré, qui, plus il est gros plus il est brillant et conséquemment plus clair.

 En outre, sur le gaufré, le même tissu d'or s'enlève encore en lumière par le moyen d'une lame-tournée qui également, plus elle est grosse, plus elle est brillante et claire.

Dsc 1505

Le gaufré

Voici comment se fait le gaufré dans la fabrication. Il marche immédiatement à la suite du tissage ordinaire. La première demi-duite partant de gauche à droite sur les fils croisures, s'arrête là où commence le gaufré, là aussi, cesse l'action des croisures et des lisses. Les doigts (le pouce et l'index) prennent les deux fils suivants, c'est-à-dire, qu'ils amènent ensemble, le fil croisure suivant et le fil-lisse son voisin ; on continue la demi-duite en la lançant dessus comme si ces deux fils n’en faisaient qu’un. De là on laisse un intervalle de deux fils, puis on amène les deux suivants (croisure et lisse) sur lesquels on lance pareillement la demi-duite. On continue ainsi le petit-gaufré en sautant de deux fils en deux fils.

Dsc 1419

Pour obtenir plus clair, on laisse trois fils d'intervalle au lieu de deux, et par conséquent on en amène trois aussi au lieu de deux et toujours ensemble comme s'ils n'en faisaient qu'un. On continue ainsi la marche de la demi-duite par trois fils comme elle s'est faite par deux. Puis si l'on veut encore avoir plus clair, on la continue de quatre fils en quatre fils, de cinq en cinq, de six en six et même de sept en sept selon la grosseur de la chaîne et la largeur des masses.

Par une 2nde demi-duite, on ramène le tissu de droite à gauche, en le lançant successivement sur les fils d'intervalle que la première a laissé ; puis arrivé à la partie tissée par le croisé ordinaire de la chaîne, la main amène, par l'action des lisses, la quantité de fils nécessaire pour arriver au premier redoublement de la hachure. De là, par l'action des croisures, la main amène encore les fils jusqu’où commence le gaufré. On y lance la 3e demi-duite qui, en suivant son cours de gauche à droite, répète ponctuellement sur les divers gaufrés, les proportions établies par la première. La 4e demi-duite revient ensuite pour faire le deuxième redoublement de la hachure, en répétant aussi. Ponctuellement, dans son trajet de droite à gauche, ce que dans le sien, la seconde demi-duite y a précédemment faite. De là, la 5e répète ce qu'ont faites les première et troisième demi-duites, comme pour terminer. Enfin la hachure, la 6e répète ce qu'ont faits les deuxième et quatrième demi-duites.

Dsc 1412

Les carreaux

Dans une masse de lumière dont le mouvement et la forme ne changent pas, tel que cela se rencontre dans une partie de bordure à plat ou en montant ; les carreaux formant le gaufré font un mouvement alternatif de droite à gauche sans pour cela lui faire perdre sa direction.

Par exemple, le gaufré sur deux fils, suivant le second rang de hachures, fait son léger mouvement vers la droite en quittant un fil à gauche pour en reprendre un autre sur la droite, de sorte que le premier carreau de ce second rang se trouve à cheval moitié sur le premier et moitié sur le second du premier rang.

Ce mouvement se fait [...]lemment sur toute la [...] des petits carreaux.

Au troisième rang de hachures, le gaufré refait le mouvement inverse en reprenant le fil qu'il avait quitté à gauche et en quittant celui qu'il avait pris à droite, de sorte que, par ce moyen, les carreaux de ce troisième rang se trouvent à cheval sur ceux du deuxième comme ceux-ci se trouvent à cheval sur ceux du premier sans que ce flottement dérange la direction de la lumière.

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Quant aux autres carreaux qui suivent les premiers dont nous venons de parler, ils font également leur mouvement alternatif de droite à gauche en se posant aussi, à cheval les uns sur les autres, mais ce mouvement se fait plus rarement à mesure par ces carreaux deviennent plus larges. Ainsi les uns le font toutes les quatre ou cinq duites, et les autres toutes les six, sept, et jusqu'à dix ou douze duites même, de sorte que leur mouvement ne se trouve plus commandé par l'épaisseur régulière du rang de hachures, mais bien par le raisonnement et la volonté du tapissier.

Le gaufré par carreaux, présente à l’œil l'aspect d'une surface ondulée qui lui renvoie plus de lumière à mesure que son grain grossit.

La lame-tournée

La lame-tournée n'est proprement dite en fabrication qu'un drillage monstrueux qui enveloppe à la fois, par une quantité plus ou moins grande de duites, un nombre plus ou moins considérable de fils. Elle s'enlève en relief sur le gaufré, et présente à l’œil l'aspect d'un cordonnet varié de grosseur, de sorte que par son relief sur le gaufré, la lame-tournée raccroche la lumière avec encore plus d'intensité.

Son exécution se fait en dehors de l'action des lisses et croisures comme celle du gaufré, elle peut aussi se conduire et se lier avec un corps de hachure mais en montant seulement. La lame-tournée se fait toujours d'un seul jet, soit qu'elle s’appuie sur une ligne horizontale ou sur une ligne oblique. Dans le premier cas on la commence indifféremment par la droite ou par la gauche, dans le second, on la commence tout naturellement par la partie inférieure de la ligne. Mais, si par exemple elle doit couvrir et s'appuyer sur une ligne courbe, on la commence à droite ou à gauche, alors elle fait son ascension du côté où elle commence ; et se termine sans interruption en descendant graduellement par le côté opposé.

Dsc 1496

Pour l'exécuter ainsi, particulièrement pour la partie descendante, il faut que la duite soit très obéissante et qu'à mesure on l'appuie sur la ligne, car sans ces précautions elle n'y arriverait qu'en resserrant les fils les uns sur les autres et en faisant plisser la partie d'ouvrage qu'elle recouvrirait.

En général, il faut au tapissier un peu d'habitude pour travailler un tissu-métallique quelconque, car il est toujours dur comparativement aux autres tissus qui se combinent avec lui, et par conséquent bien plus susceptible de resserrer la chaîne. Mais pour parer à cet inconvénient, c'est seulement du tact qu'il faut.

Le traitement des figures


Dans les sujets à figures tels que ceux du meuble que nous avons fait, le gaufré à carreaux et la lame-tournée s'emploient particulièrement dans les accessoires ; mais pour le modèle des figures on fait un gaufré tout différent. On sait bien la même règle de proportions en sautant de deux fils en deux fils d'intervalle, de trois en trois &c... et au lieu de ne donner du mouvement au gaufré que toutes les trois, quatre, six, huit, ou dix duites comme nous l'avons dit, on fait, pour les petits intervalles, un mouvement à chaque duite : pour les moyens, on le fait toutes les deux duites : et pour les grands, toutes les trois ou quatre duites au plus. de sorte que de cette combinaison, il résulte un grain de fabrication plus fin, plus pâteux et par conséquent plus en rapport avec la nature de l'objet qu'il représente.

Ce gaufré ou ce grain allongé donne également de la lumière varié ; peut-être est-elle un peu moins étincelante que dans le gaufré à carreaux, mais elle a l'avantage d'être moins saccadée, moins tourmentée.

La lame-tournée s'y emploie ça et là presque toujours dans de moyennes proportions, par exemple, on trouve à la glisser heureusement, sur un nez, sur un bout de pied qui vient en avant, de même sur un bout de main ; mais dans des masses de cheveux elle y joue un grand rôle.

Dsc 1421

Les techniques utilisées aux Gobelins avant 1810

[...]

Nous terminerons cette note en faisant observer que le tissu d'or employé dans les anciennes tapisseries telles que celles dites (Constantin) était varié de grosseur, et travaillé partout en brin-simple.

Le fil s'employait dans le tissage ordinaire en hachures et en partie-franche. Le gros faisait le gaufré et les lames-tournées. La grosseur du premier répondait à celle d'un fort brin de soie simple, et celle du second était du double.

Pour passer rapidement de la lumière à l'ombre, les anciens combinaient parfois l'or pur avec la laine on les mélangeait ensemble sur broche. »

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Bibliographie

Gilbert Antoine Deyrolle, Manuel sur l'art de la tapisserie, 1830-1835. Édition électronique en 2020 sur Wikisource.

Crédits photo

Isabelle Bideau.