Encyclopédie des savoir-faire
Mobilier National

Le Rêve de l’arbre Les dessous d'une création d'Aline Putot-Toupry
Temps de lecture 7 min

Commode d'Aline Putrot-Toupry, Photo Isabelle Bideau

Le Mobilier national a mené en 2020-2022 un programme expérimental, les "Aliénés". Il a proposé à une série d’artistes de retravailler, réinterpréter des collections.

Aline Putot-Toupry a signé la transformation d'une commode. Rencontre avec l'artiste.

Vous avez produit une œuvre spectaculaire. Quelle est votre spécialité ?

Je suis sculpteur ornemaniste de formation. Aujourd’hui, je suis artiste plasticienne et professeur au lycée professionnel Hector Guimard en section OMPS (ornementation – modelage – mise au point – sculpture) à Paris (19e arrondissement). J’y forme les étudiants à la tradition de l’ornementation ainsi que la statuaire : savoir bien dessiner et modeler les ornements gréco-romains ainsi les ornements des styles français du roman au 20e siècle. Dans l’établissement, nous possédons une belle platrothèque et nous travaillons sur des modèles originaux.

A Paris, nous avons la chance d’avoir de nombreux musées, dont la Cité de l’architecture et du Patrimoine, qui présentent des œuvres emblématiques du patrimoine architectural français et leur permettent d'apprendre à maîtriser tous les ornements, mais également d'en connaître la composition. Un des principaux livres de référence des étudiants est celui d’Évelyne Thomas, Vocabulaire illustré de l’ornement.

20 années de pratique rigoureuse dans l’ornementation classique me donnent la liberté de créer des œuvres originales. Que ce soit dans la composition, le respect des masses, comment les éléments doivent s’agencer les uns avec les autres. Ce savoir est très important et cela me tient à cœur de le transmettre aujourd’hui.

Lycee Professionnel Hector Guimard Photo Droits Reserves
Lycée professionnel Hector Guimard, photo droits réservés

Qui s’y forme ? Combien d’élèves ?

C’est un lycée de tailleur de pierre et sculpture sur pierre. Souvent les élèves ont déjà le CAP (au niveau de la 3e) ou le BPMH (Brevet professionnel Monuments historiques), cours suivis dans notre lycée professionnel (ou différents lycées professionnels). On forme une douzaine d’élèves maximum par an. Ensuite, ils trouveront des emplois dans de nombreuses entreprises sur tout le territoire (entreprises de restauration de monuments historiques, ateliers de sculpture et taille de pierre) et par la suite certains à leur tour créeront leur entreprise. Les bâtiments et châteaux qui ont 200 ou 300 ans nécessitent de nombreuses réfections, le travail ne manque pas quelle que soit la région.

la commode GME 18727 dans l'exposition "Les Aliénés"
La commode "Le Rêve de l'arbre" (GME 18727) dans l'exposition "Les Aliénés".

Cela vous arrive-t-il fréquemment de réinventer des œuvres ?

C’est la première fois que je réalise une œuvre de cette façon. C’est un challenge très intéressant. Il y a des contraintes de dimensions et de matières. Le plateau en marbre était rayé, le noyer présentait de nombreux trous d’insectes xylophages. Les dimensions de l’ensemble n’étaient pas harmonieuses. Il a fallu dans un premier temps s’approprier le meuble en le restaurant. Enlever les ressauts de bois collés. Il m’a été demandé que le meuble puisse continuer à être utilitaire ce qui m’a obligé à réaliser des trompe-l’œil pour garder la cohérence souhaitée.

commode GME-7654-000
Commode (GME-7654-000) en noyer et marbre, avant intervention de l'artiste

Comment avez-vous été repérée par le Mobilier national ?

En 2019, J’ai participé au « Savoir-faire des takumi ». C’est un programme d’accompagnement qui vise à rapprocher des professionnels de Paris et de Kyoto maîtrisant un savoir-faire, dans une démarche de découverte technique et culturelle. J’ai travaillé avec l’artiste Maria Murayama (10 jours à Paris et 10 jours à Kyoto). L’œuvre « Reborn « fut le fruit de cet échange où j’ai associé bois, porcelaine, binchotan et urushi. Mon œuvre fut sélectionnée pour l’exposition « Collect » à Londres, Takashimaya à Tokyo, ainsi qu’à Paris. Par la suite, j’ai réalisé O Hanami (= Contemple les fleurs) en porcelaine et laiton doré.

commode GME 18727 zoom sur l'amarante sculptée
Détail de la "branche" d'amarante décorée de fleurs et d'insectes (photo prise en réserve après démontage de l'exposition "Les Aliénés")

La porcelaine, depuis quand en faites-vous ?

Je sculpte de la porcelaine depuis 5 ans mais auparavant je travaillais déjà les terres dont le grès. Mon atelier est à Paris, dans des cours gérées par la SEMAEST (ville de Paris). Je partage l’atelier avec mon mari, doreur à la feuille et repareur (qui est une spécialité dans la dorure) il est également créateur.

Dans le Rêve de l’arbre, pour la réalisation des gouttes d’eau, j’ai dessiné un modèle, étalé la pâte manuellement avec un petit rouleau et découpé chaque goutte. Chacune a une épaisseur différente. Après séchage, cuisson à 920 °, j’ai appliqué mon émail selon une recette personnelle au pinceau par petites touches pour obtenir les vibrations et des craquelures plus ou moins prononcées je voulais absolument éviter l’uniformité. Chaque goutte a sa vie, sa personnalité. On se dessaisit ici de la tradition pour donner vie à la pièce. Pour finir, la pièce est recuite à 1220°, ce qui lui donne une résistance aux chocs et rayures.

La porcelaine est une matière exigeante, un changement de quelques degrés à la cuisson, un courant d’air durant le séchage et le résultat sera différent. Son surnom au XVIIIe siècle était « l’or blanc ».

Commode d'Aline Putot-Toupry, Photo Isabelle Bideau
Commode d'Aline Putot-Toupry, photo Isabelle Bideau - Mobilier national
commode GME 18727 zoom sur les gouttes en porcelaine
Les gouttes en porcelaine émaillée sont clouées sur la commode dont le bois a été peint.

L’amarante ? Pourquoi ?

J’ai aimé la couleur violette de ce bois et sa vibration. C’est un bois exotique de Guyane française, un bois précieux qu’on utilise ordinairement en placage. C’est un bois avec une grande densité, très résistant. J’aime les matières qui ont une vie et qui nécessitent une connaissance de la matière. Il faut savoir comment l’appréhender, connaître ses limites et ses contraintes. C’est très intéressant, une remise en cause constante. Le rendu est très doux et donne envie de le toucher. Les traces des gouges sont très nettes et luisent sous le tranchant de la gouge. Le bois va changer de couleur dans le temps. L’œuvre a sa propre vie.

J’ai travaillé avec des gouges et massettes, outils traditionnels du sculpteur sur bois. J’ai travaillé en taille directe, sans modèle à partir d’un dessin final après des recherches. J’ai d’abord commencé à sculpter le côté sur l’établi, puis la face. J’ai ensuite regroupé les deux sur le meuble et recollé des éléments de bois là où je voulais plus d’épaisseur. Enfin, j’ai terminé la sculpture directement sur le meuble.


Commode d'Aline Putot-Toupry, Photo Isabelle Bideau
Commode d'Aline Putot-Toupry, photo Isabelle Bideau - Mobilier national

Y a t-il un message derrière cette œuvre poétique ?

Mes recherches portent sur la résilience et la place de la nature dans notre vie.

Commode d'Aline Putot-Toupry, Photo Isabelle Bideau
Commode d'Aline Putot-Toupry, photo Isabelle Bideau - Mobilier national
Crédits photo

Droits réservés, Vincent Lamouraux, Muriel Cinqpeyres, Mobilier national, Alice Aguirregabiria, Isabelle Bideau - Mobilier national.